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Histoire : Raphaël Huet, le match de sa vie

Raphaël Huet, 38 ans, a fait toutes ses classes de joueur et d’entraîneur à Marseille. Responsable de l’école de tennis et de la compétition dans le quartier du Roy d’Espagne, il a su passer tous les obstacles qu’aurait pu dresser devant lui une déficience auditive apparue dès la naissance. Un beau modèle de réussite.
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Affecté d’une surdité profonde bilatérale congénitale, Raphaël Huet a rapidement vu dans le sport un vecteur d’intégration idéal.

"Mon père voulait me sociabiliser, m’apprendre à communiquer, à maîtriser la langue française", explique le natif d’Aubagne. De la maternelle au primaire, il s’investit à fond dans le football. Mais, à 12 ans, une bagarre dans le vestiaire l’incite à raccrocher les crampons du jour au lendemain.

"Pendant un an, c’était le désarroi, il ne me restait que l’école, où mes camarades m’excluaient, reconnaît-il. Alors, j’ai eu envie de reprendre le tennis, que j’avais pratiqué en loisirs pendant un an, à l’âge de 8 ans."

Pendant un an, à l’A.S.P.T.T. Marseille, Jean-Michel Preziosi l’entraîne en cours particuliers. "Puis, il m’a dirigé vers Éric Dochtermann (coach sur le circuit, notamment de Victoria Larrière, N.D.L.R.) au Chevalier-Roze, club jouxtant le stade Vélodrome, poursuit-il. C’est avec lui que ma vraie relation au tennis a commencé. C’est à ce moment-là que j’ai voulu devenir fort au tennis et enseigner. À 15 ans, il m’a permis de devenir aide-moniteur. Lors de mon premier jour d’entraînement, j’avais peur de ne pas comprendre et de ne pas me faire comprendre par les élèves." Une peur vite dissipée.

Grâce à une rapidité héritée de sa pratique du football, il atteint 30/3 comme premier classement avant de monter petit à petit jusqu’à 15/5 puis d’exploser à 18 ans. En prenant six classements en deux ans, il atteint la 2e série (5/6), à 19 ans.
Suivant son mentor, Éric Dochtermann, au TC de Toursainte, il atteint son meilleur classement : 2/6. "Ma progression de 5/6 à 2/6 est le fruit de mon travail à Luminy, avec Alain Lambert, qui a été prof de Guy Forget et Henri Leconte. Il m’a appris les astuces de la compétition, note-t-il. En ayant les deux enseignants comme profs, je tenais le duo de folie !"

La considération, il l’a obtenue par ses résultats.

Double champion de France des sourds et malentendants en 1995 et 1996, il est même allé jusqu’à accrocher la médaille de bronze aux J.O. de Copenhague en 1997 !

"Après un succès contre un Suédois, n° 5 mondial, dans le match pour la 3e place je bats un Allemand, sur le score de 6/1, 6/1", se remémore le serveur-volleyeur, privilégiant les échanges en deux ou trois coups de raquette. Quelle belle année que ce millésime 1997 à l’issue duquel Raphaël est nommé pour l’Oscar du tennis provençal, une récompense mettant à l’honneur l’acteur le plus en vue de la saison en ligue de Provence et remportée cette année-là par Arnaud Clément.

Deux ans plus tard, il obtient un nouvel accessit en finissant vice-champion du monde par équipes en Italie.

Après avoir frôlé la montée à 1/6 et s’être blessé sérieusement à la cheville puis être redescendu 3/6, Raphaël prend la décision de passer le monitorat. Le brevet d’État en poche en 2001, il enseigne alors au club de Toursainte.

Dans son parcours, il n’oublie pas non plus Olivier Cayla, ex n° 17 français, ni le président de la ligue, Alain Fischer, "qui m’a ouvert les portes de la ligue en me laissant m’entraîner avec les meilleurs".

Seule tache d’encre à son tableau d’honneur : ne pas être monté négatif. "C’est mon regret, mais après la naissance de mon premier garçon, c’est devenu compliqué", avoue-t-il.

Pas de quoi non plus altérer la confiance en lui acquise au fil des épreuves. "Aujourd’hui, j’ai gagné le match de ma vie, lance Raphaël. Grâce au tennis, je me suis senti heureux en dépit du handicap."

Depuis 2012 et la pose d’un implant cochléaire, "(sa) vie a changé". Avec 40 % de gain d’audition, il peut désormais entendre tous les bruits aigus jusque-là inaudibles. Verdict : "Je me sens mieux sur le plan relationnel, reconnaît-il. Au niveau de la compétition, en revanche, cela ne m’apporte strictement rien, car mes appareils ne supportent pas la transpiration".

Désormais enseignant au Roy d’Espagne, quartier sud de Marseille, depuis 2011, Raphaël prône le respect, le fair-play vis-à-vis des partenaires, des adversaires, et proclame que le sport représente la vitalité, le bonheur. Tout serait donc une question d’investissement et d’exemplarité comportementale. Pour lui, "les futures victoires se construisent à l’entraînement".

Question style de jeu, il incite ses jeunes à monter à la rencontre du filet. "Ils ne doivent pas rester dans l’attentisme au risque de ne pas progresser. La volée rajoute du spectacle car elle mêle la beauté du geste et l’aspect décisif."


UN DOUBLE OBJECTIF : PLAISIR ET PROGRESSION
Inspiré par Pete Sampras et Roger Federer et admiratif de Gustavo Kuerten – "Comme par hasard, trois joueurs au revers à une main, comme moi", s’amuse-t-il – Raphaël sait adapter son discours. "Je peux être sévère quand les enfants dépassent les bornes, mais aussi très protecteur quand je vois qu’ils doutent", explique le responsable de l’école de tennis et de la compétition.

Sa philosophie se résume en un objectif, celui « des deux P » : plaisir et progression. "C’est par le plaisir que l’on progresse. Et quand on s’aperçoit de sa progression, cela procure du plaisir", résume-t-il. Entre la soif d’apprendre et le potentiel, Raphaël valorise la première. Le “prof” ne manque pas d’imagination pour passionner ses protégés.

S’il se montre généralement plus souple avec les filles, il affirme que, quel que soit le sexe, "l’exigence, la rigueur, l’apport de plaisir et de motivation et la pédagogie tennistique restent les mêmes".

Cet enseignant exemplaire a bien l’intention de continuer à transmettre ses valeurs de respect et son goût pour l’effort.


(Laurent Nobles)

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