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Le match de ma vie (7) : Chloé Ramsamy

Septième épisode du match de ma vie : la jeune Chloé Ramsamy, ex-ramasseuse de balles à Roland-Garros, se souvient d'avoir réussi sa plus belle 'perf'... en manque de raquette.
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Vous avez joué un match de 12 heures ? Vous avez battu Roger Federer quand il était jeune ?  Vous avez gagné après avoir été mené 6/0 5/0 40-0 ? Dans cette rubrique, nous vous invitons à partager vos plus belles expériences sur le court, quel qu'il soit (tennis, padel, beach...). Septième épisode : Chloé Ramsamy, qui a réalisé la perf de sa vie... après s’être retrouvée sans raquette au début du troisième set !

Identité : Chloé Ramsamy
Club : Tennis Club Saint Pol sur mer
Meilleur classement : 15/2
Année de naissance : 1999

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"Je n’avais plus de raquette. Je me souviens avoir regardé mon père : 'on fait quoi là ?'"
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Quand et où a eu lieu le match de votre vie ?

En 2011 à Hazebrouck, au Tennis Club de la Tulipe Noire, à une cinquantaine de kilomètres de Dunkerque, où je vis. J’avais 11 ans et j’étais classée 30. Et je suis allée jusqu’en finale, où j’ai battu une 15/4. C’était alors ma plus belle perf et durant le match, je me suis retrouvée sans raquette après avoir cassé tous mes cordages !

S’agissait-il d’un gros tournoi ?

La Tulipe Noire proposait l’un des plus gros tournois jeunes de la région. C’était au printemps et il ne fallait pas le rater ! Je crois avoir passé six ou sept tours avant d’arriver en finale ! Je revois le tableau : j’avais traversé trois feuilles ! Quand j’ai dit à mes parents que vous alliez me contacter pour la chronique, ils m’ont rappelé que j’avais aussi terminé un match à minuit lors de mon parcours ! Mon père m’amenait tous les jours, ou tous les deux jours. C’était une sacrée semaine !
 

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Et donc, en finale, vous vous retrouvez face à une adversaire mieux classée que vous...

En arrivant, je n’y crois pas une seconde. Je ne la connaissais pas, mais du fait de nos classements respectifs, je ne me voyais pas du tout gagner. Je n’avais donc jamais gagné à 15/4 précédemment et de plus, j’avais plein de matchs dans les pattes

Quels souvenirs gardez-vous de la finale ?

Dans ce tournoi, on jouait en indoor ou à l’extérieur en fonction du temps. Ce jour-là, on avait joué à l’intérieur. Il y avait quelques spectateurs, comme souvent pour les finales. Parmi eux, mon père. Et tout commence mal : je perds le premier set 6/1, ce qui ne me surprend pas vraiment. Et dans le deuxième set, elle se détache 4-1. Là, je casse une corde. Ce qui m’arrive très rarement. En général je casse à l’entraînement, mais jamais en match. Mais comme j’ai toujours trois raquettes dans mon sac, je prends la deuxième.

À 6/1 4-1 contre une joueuse mieux classée, il faut un sacré mental pour revenir !

À ce moment-là je change donc de raquette et il y a un litige d’arbitrage. Le juge-arbitre est intervenu. Je crois me souvenir l’avoir appelé, car je ne suis pas du genre à me laisser marcher sur les pieds. Il m’a donné raison et ça a été le tournant du match : je suis revenu à 4 jeux partout. Et là, je casse la corde de ma deuxième raquette !

Mais il vous en reste encore une !

C’est une raquette que je n’avais jamais touchée ! Car c’était la première fois que je cassais deux cordages dans un même match. Le grip était encore tout neuf. On reprend le jeu, on reste au coude-à-coude et dans le tie-break, je prends l’avantage. Mon adversaire était moins sereine, et j’avais de plus en plus confiance en moi. Physiquement, je me sens au-dessus. Je suis assez sportive et physique. Je sais que je peux tenir les trois sets. Et je sens que tout ça lui fait mal, car elle devait penser que le match était plié à 6/1 4-1. Sans avoir à sauver de balle de match, je recolle à un set partout.

Et vous devenez presque la favorite à ce moment-là ?

Je ne voulais pas jouer un troisième set pour le perdre. Je le commence donc en étant à fond. Mais là, je suis coupée net dans mon élan... Ma troisième raquette casse à son tour !

Vous n’avez donc plus aucune raquette à disposition ?

Je me souviens être allée m’asseoir. J’ai regardé dans mon sac, espérant y sortir une quatrième raquette comme par magie. Mais je me retrouve sans rien. Mon adversaire était un peu gênée. Elle semblait partagée, et ne savait pas si elle devait m’en donner une ou me laisser abandonner. J’étais perdue. Je me souviens avoir regardé mon père : "on fait quoi, là ?"

Qu’avez-vous fait ?

Voyant que le jeu était interrompu, le juge-arbitre est arrivé. Je lui ai expliqué. Comme j’étais là presque tous les jours, les organisateurs avaient fini par me connaître. Ce juge-arbitre a fait preuve d’une grande gentillesse en me proposant d’aller chercher une raquette dans le club house. Mais en arrivant sur place, il n’y avait rien. Comme c’était la toute fin du tournoi, personne, dans le club, n’avait ses affaires. Le juge-arbitre, qui était aussi entraîneur et avait un bon niveau, est alors parti en courant vers sa voiture, et il est revenu avec l'une de ses raquettes et me l’a prêtée.

Comment a réagi votre adversaire ?

Elle était peut-être soulagée de ne pas avoir à me prêter l’une de ses raquettes. Elle pensait aussi peut-être que le fait de changer de raquette en cours de match allait me déstabiliser. C’est vrai que ce n’était pas simple : je joue en Wilson, et là c’était une Head. Mais finalement elle était beaucoup plus nerveuse que moi. Elle s’est mise à faire beaucoup de fautes, et les points ont défilé en ma faveur. J’ai remporté le troisième set 6/0, et donc le match 1/6 7/6 6/0. Avec quatre raquettes au total !

Quel était votre sentiment après la victoire ?

J’étais très joyeuse car c’était alors ma plus belle performance, et c’était inespéré. Je me souviens aussi de la déception de mon adversaire, et que nous avons offert un verre avec mon père au juge-arbitre pour le remercier de m’avoir passé une raquette !

Repensez-vous à cet épisode à chaque fois que vous cassez un cordage ?

Figurez-vous que ça m’est de nouveau arrivé quelques années plus tard, à Dunkerque. Mais là, je n’avais que deux raquettes. C’est une copine qui m’a alors passé sa raquette. J’ai perdu le match mais j’ai tellement aimé sa raquette que j’ai acheté les mêmes ensuite.
 

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Quel type de jeu avez-vous ?

J’attaque. J’ai un bon coup droit. On va dire que je ne suis pas très patiente. Je ne tiens longtemps en fond de court. Je ne monte pas forcément au filet, mais j’essaie de prendre l’avantage avec mon coup droit... J’ai mis un peu les tournois entre parenthèses en ce moment car je suis étudiante en médecine et ça prend du temps. Mais je tape toujours régulièrement la balle avec mon père, sans pression...

Avez-vous d’autres souvenirs marquants ?

J’ai adoré être ramasseuse de balles à Roland-Garros, en 2015. J’ai été sélectionnée dès la première année où je me suis présentée ! En plus, j’apparais dans un reportage qu’avait fait France 2 sur des ramasseurs : "Terre de rêve". Ils en avaient suivi plusieurs "ballos", dont moi. Dans le reportage, on me voit recevoir le prix du fair play des ramasseurs. Ce qui m’avait permis d’avoir des places pour le Masters 1000 de Paris. Je me souviens de la projection du reportage en avant-première sur les écrans du court Philippe-Chatrier, un soir, en présence des sponsors et de l’équipe du tournage. 



De qui avez-vous ramassé les balles ?

J’ai eu l’occasion de ramasser Marin Cilic, les jumelles Karolina et Kristyna Pliskova en double dames, ainsi que Benoît Paire et Chloé Paquet en double mixte. Je fais également partie des ramasseurs qui ont fait une haie d’honneur au vainqueur, Stan Wawrinka, à qui j’ai pu faire un "check" ! Un matin, Novak Djokovic a fait son footing avec nous !

Mais mon meilleur souvenir reste lié à l’Espagnole Alione Bolsova (ndlr : aujourd’hui 135è au classement WTA), qui jouait alors le tournoi juniors. Pendant une petite averse, je suis venue près d’elle pour l’abriter avec un parapluie. Elle m’a alors demandé de venir s’asseoir à côté d’elle et nous avons échangé quelques mots, en anglais. Elle m’a demandé comment ça allait etc... Un photographe a immortalisé ce moment et j’ai gardé la photo ! C’était génial !
 

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