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Le match de ma vie (14) : Jordan Garcia

Quatorzième épisode : Jordan Garcia, qui a joué (et gagné) un match par équipes malgré une récente rupture des ligaments croisés.
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Une ''perf'' énorme ? Un match qui dure 7 heures ? Vous avez gagné après avoir été mené 6/0 5/0 40-0 ? Dans cette rubrique, nous vous invitons à partager vos plus belles expériences sur le court, quel qu'il soit (tennis, padel, beach...).

Identité : Jordan Garcia
Club actuel : Tennis Club Colombier (63400 Chamalières)
Club au moment du match de sa vie : Tennis Club Riom (63200 Mozac)
Meilleur classement tennis : 5/6
Année de naissance : 1989

Où et quand a eu lieu le match de votre vie ?
C’était un match par équipes, en mai 2015. À cette époque, j’étais prof au Tennis Club de Riom, dans le Puy-de-Dôme. Lors d’une rencontre à l’extérieur, j’ai dû jouer un double pour "sauver" mon équipe alors que je souffrais encore d’une rupture des ligaments croisés. Et j’ai gagné ! C’est un souvenir fabuleux.

Avec son équipe du TC Riom
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Tout d’abord, évoquons l’accident. Comment vous êtes-vous blessé ?  

L’année précédente, après avoir arrêté quelques années, j’avais repris le football en club. Je jouais milieu droit. Mais lors d’un match au mois de septembre, en reprenant un ballon en profondeur et en cherchant à m’interposer entre le gardien et un défenseur de l’équipe adversaire, j’ai entendu un gros crac. J’ai tout de suite compris que c’était grave. Verdict : rupture des ligaments croisés !

Difficile de continuer le sport dans ces conditions...

Sur le coup, j’ai tout de suite pensé à mes cours de tennis à Riom. Je me demandais comment j’allais faire ! Mais le Président du club a été compréhensif et m’a donné quinze jours pour que je puisse avoir le temps de régler les formalités médicales (radios, examens...). Ensuite, j’ai donné mes cours en béquilles. Je me suis fait opérer mi-décembre et je les ai encore un peu gardées après l’opération.  

Quand un sportif est victime d’une rupture des ligaments croisés, il peut mettre plusieurs mois à s’en remettre. Le joueur japonais Yoshihito Nishioka, récemment, a dû arrêter un an...

J’avais en tête le cas de Nabil Fékir, à qui c’était arrivé un an plus tôt. Je savais que ça allait être dur et long. Quand commence l’année 2015, je boite. Je faisais ma rééducation et j’ai une genouillère. Le tennis et le sport m’étaient interdits.

Etiez-vous remis quand commence la saison des matchs par équipes ?

Quand la saison commence, je n’ai toujours pas rejoué depuis la blessure, même pas à l’entraînement. C’est frustrant car c’est ma période de l’année préférée. Je suis capitaine de l’équipe 2 de mon club et j’adore jouer avec les copains. Cette année-là, nous avions en plus de bonnes chances de monter en pré-national. Donc même si je ne jouais pas, j’accompagnais quand même mes joueurs.

Un dimanche de mai, nous sommes allés à Cusset, à 45 kilomètres de Riom. C’est moi qui conduisais la troupe et en préparant la voiture, j’avais glissé une raquette dans le coffre. J’ai longuement hésité, je me suis dit qu’elle ne me servirait à rien, mais finalement je l’ai prise... Au cas où ! Dans le groupe, nous étions, moi y compris, trois à être classés 5/6 et il y avait deux joueurs classés 15.

Comment s’est déroulée la rencontre ?

On se méfiait de leur numéro 1, un ancien -30 qui était le prof du club et qui d’ailleurs a atomisé l’un de nos deux joueurs classé 15 lors de la première rencontre. Mais les autres membres de l’équipe adverse étaient moins bien classés. On a égalisé à l’issue du deuxième match et on a pris l’avantage après le troisième : 2-1 pour nous. Mais dans le quatrième simple, il y a eu un drame. Alors que mon joueur menait un set à zéro et 6-1 dans le tie-break du deuxième, il a sprinté pour récupérer une amortie et s’est écroulé. Je me suis précipité vers lui. J’ai cru d’abord à une crampe. Mais il a hurlé de douleur. Il ne pouvait plus se relever : rupture du tendon. Il a dû abandonner... Nous voilà donc à 2 partout avec un joueur en moins pour les double !

Vous avez donc pris le risque de jouer ?

On voulait tout donner pour avoir une chance de monter. Après réflexion, j’ai dit à mes coéquipiers : "Je vais m’aligner et on va faire un gros double". J’ai été cherché ma raquette dans la voiture. On se connait plus ou moins tous dans la région, et nos adversaires savaient que j’avais eu ce problème aux ligaments et que je n’avais pas joué depuis des mois. Quand ils ont appris que j’allais jouer, ils pensaient gagner facilement. Surtout que pour ce match numéro 5, il y avait l’ancien -30 en face...

Avec qui avez-vous joué ce double ?

Il s’appelle Valentin Aimes et il est plus jeune que moi. Il est né en 1995. Il a un super jeu, très imprévisible. Il peut envoyer des mines comme faire des amorties. Il joue parfois en marchant et peut paraître fantasque, du genre Nick Kyrgios. Mais c’est un super guerrier. Nous avions mis en place une stratégie : pour ne pas avoir à trop bouger, je devais privilégier les trajectoires droites et ne pas jouer croisé.

Vous avez tenu le coup physiquement ?

J’ai été porté par l’énergie de mon partenaire et par l’enjeu. Et ça a marché ! Mais juste après avoir gagné le premier set (6/4), alors que c’était à moi de servir et que j’étais en train de faire rebondir la balle, je me suis retrouvé incapable de la lancer. Je me suis mis à pleurer. Valentin s’est retourné et est venu me voir. Il pensait que j’avais des douleurs. En fait pas du tout, c’était simplement l’émotion de pouvoir rejouer après des mois sans faire de sport, et en plus dans un contexte particulier et devant mes potes.

Nos adversaires aussi ont d’abord pensé que je pleurais à cause de la blessure, mais je ne ressentais vraiment aucune gêne particulière. "Si tu as mal, on arrête" m’ont-ils dit ! On s’est juste assis cinq minutes, avec leur accord, le temps que je reprenne mes esprits, et on a repris le match.

Citation
Au moment de servir, je me suis mis à pleurer. C’était l’émotion !
Auteur
Jordan Garcia
Twitter quote
Texte

Vous vous êtes remis de vos émotions ensuite ?

Nous avons continué à faire du bon tennis. On évitait au maximum de jouer sur l’ancien négatif, car son partenaire était nettement moins fort. On lui a mis la pression avec nos retours. Pendant ce temps, je cherchais toujours à éviter les déplacements, surtout latéraux. Le deuxième set a été plus serré, mais on l’a gagné aussi (7/5).

Quelle a été votre réaction après la balle de match ?

Valentin a sauté dans mes bras, on était comme des gamins. Je lui ai dit après le match que si je devais partir à la guerre un jour, ce serait avec lui ! Il a tellement tout donné et on était si heureux de mener 4 à 2 après toutes ces péripéties. On reparle encore parfois de ce match tous les deux aujourd’hui. Quant à nos adversaires ont accepté leur défaite. L’ambiance était bonne pour le repas d’après rencontre.

Et depuis, avec-vous repris le tennis d’une manière plus régulière ?

Oui. Un peu plus tard, j’ai fait une formation pour être sophrologue. Cela m’a aidé à prendre du recul et d’être moins nerveux sur le court. Je me souviens d’un autre match, précisément à Mulhouse, à l’occasion d’un premier tour des championnats de France pour lesquels je m’étais qualifié après avoir remporté les championnats d’Auvergne. Je revenais juste d’un voyage au Brésil, où j’avais beaucoup festoyé. Le début de rencontre a été difficile, car j’ai joué dès le lendemain de mon retour. J’avais encore la gueule de bois et j’ai d’abord été mené 6/2 5-2. J’ai même vomi pendant le match... mais j’ai finalement gagné (2/6 7/5 7/5) en réussissant à jouer mon jeu de limeur de fond de court. Un super souvenir aussi !
 
Vous êtes toujours prof de tennis ?

Je vis maintenant à Nice et je donne des cours à l’Académie de Patrick Mouratoglou. J’ai deux groupes de jeunes filles qui ont entre 10 et 14 ans. Sinon, je joue aussi beaucoup au Padel, ce qui m’a fait prendre goût au jeu d’attaque. Je monte beaucoup plus souvent au filet qu’avant !

Quels sont vos joueurs favoris ?

Je voue un culte à Andy Murray. J’adore aussi les Argentins, Diego Schwartzman en tête. Avant, j’aimais beaucoup certains de ses compatriotes comme David Nalbandian, Juan Monaco ou Gaston Gaudio. Je n’oublierai jamais la victoire de ce dernier à Roland-Garros en 2004 et cette finale dingue contre Guillermo Coria...

Jordan donne des cours à la Patrick Mouratoglou Academy
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