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Les six règles d'or du parfait terrien

Exigeante, la terre battue est une surface qui nécessite, au-delà du tennis pur, de maîtriser plusieurs fondamentaux . Notre rubrique conseils aux compétiteurs vous propose de passer en revue les six règles d'or du parfait terrien.
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Surface originelle du tennis, la terre battue a en elle ce charme et ce prestige qui font d'elle une surface tellement séduisante, mais aussi ce parfum de mystère qui la rend parfois compliquée à aborder, notamment pour celles et ceux qui n'ont pas grandi dessus.

Si elle est, pour beaucoup, la surface la plus formatrice, c'est que la terre battue porte en elle des exigences qui vont bien au-delà du tennis pur : elle nécessite des qualités tactiques, physiques et mentales très spécifiques par rapport aux autres revêtements.

Encore faut-il bien les connaître, pour mieux les maîtriser. L'ancien 10ème joueur mondial Thierry Tulasne, actuel entraîneur de Harold Mayot et grand spécialiste de l'ocre, nous aide à décrypter les six règles d'or du parfait terrien.

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1/ Maîtriser le déplacement

Bien souvent, les joueurs qui ont du mal à jouer sur terre battue sont avant tout des joueurs qui ont du mal à se déplacer sur terre battue. Et notamment du mal à maîtriser cet art essentiel du jeu sur terre : la glissade.

"La glissade, c'est très particulier parce qu'il faut savoir la faire dans le bon timing : ni trop tôt ni trop tard, entame en préambule Thierry Tulasne. La fin de la glissade doit coïncider pile au moment où l'on prend son appui, de manière à pouvoir frapper et se replacer tout de suite après. Si l'on continue à glisser au moment où on frappe, on perd un temps précieux." Sans parler du déséquilibre…

Ce sens du timing s'inculque dès le plus jeune âge, et les meilleurs spécialistes, comme Rafael Nadal, sont capables de glisser y compris "sur leur jambe opposée, quand ils doivent frapper un revers en appuis ouverts".

Pas évident, en revanche, pour ceux qui ont grandi sur dur. Mais la bonne nouvelle, c'est que la chose peut aussi se travailler, avec des exercices spécifiques (shadow-tennis, etc).

Au-delà de la glissade, le déplacement sur terre battue peut être complexifié, aussi, par un rebond forcément moins linéaire que sur dur. "Il peut y avoir des faux-rebonds que l'on n'a pas anticipés donc il ne faut jamais se placer trop tôt, conseille ainsi l'entraîneur de Harold Mayot. Comme on dit, en fait, il n'y a pas de faux-rebond : il n'y a que des mauvais jeux de jambes !"

FFT / Nicolas Gouhier
Malgré sa grande taille, Stefanos Tsitsipas maîtrise à merveille l'art du déplacement et de la glissade sur terre battue.
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2/ Donner plus hauteur à ses frappes

Même si l'on verra après que c'est un peu plus subtil que ça, c'est quand même l'un des grands principes du jeu sur terre : il faut globalement donner plus de hauteur à ses frappes, donc plus de lift, non seulement parce que la spécificité de l'argile est d'accentuer la rotation du "spin" au rebond, mais aussi parce que la longueur accrue des échanges nécessite de prendre plus de marge de sécurité.

"Il faut viser de passer environ 2,50 m au-dessus du filet, précise celui qui fut également l'entraîneur de Gilles Simon lors de ses premières années sur le circuit. Et si vous décelez un coup plus faible chez votre adversaire, il faut insister dessus car le rebond plus haut va lui faire jouer des balles au-dessus de la tête, ce qui le mettra inévitablement en difficulté."

Ce qui nous emmène donc à l'effet probablement le plus essentiel sur terre : le lift, parce que c'est celui qui permet de jouer bombé tout en frappant fort et en gardant de la sécurité. Petit conseil technique de "Tutu" : ne pas hésiter, si vous le sentez, à fermer légèrement vos prises, pour générer plus facilement du "spin".

Le reste est un cours magistral toujours bon à réviser :

"Le lift nécessite de frapper la balle de bas en haut. Avant la frappe, la tête de raquette doit être sous la balle ; et après, elle est au-dessus, au niveau de l'épaule. Il faut bien plier les jambes pour pousser à la frappe et augmenter l'effet ressort. Enfin, autre élément important, faire prendre du retard à la tête de raquette pour générer de la vitesse à l'impact."

FFT / Corinne Dubreuil
Tête de raquette au-dessus de l'épaule en fin de geste pour un lift efficace !
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3/ Construire l'échange en respectant des règles

La terre battue induit une manière différente de "penser" l'échange : on ne le gagne pas forcément parce qu'on a joué un meilleur coup que l'adversaire, mais parce qu'on l'a mieux construit. Or, la construction d'un point, comme celle d'un bâtiment, nécessite de suivre un cahier des charges précis.

"Le grand schéma sur terre, c'est de sortir le joueur du court avec des courts croisés pour ensuite jouer soit dans l'ouverture, soit dans le contre-pied. Y compris au service, avec des slices extérieurs ou des kicks côté avantage (pour les droitiers)", détaille ainsi celui dont huit des neuf finales jouées sur le circuit ATP l'ont été sur terre battue.

"Tout en essayant de surprendre parfois l'adversaire, il faut respecter la logique du jeu. Si on est loin, jouer bombé pour se donner le temps de revenir. Si on est excentré, jouer croisé car la zone de replacement est alors plus proche de soi que si on joue long de ligne. Si la balle adverse est longue, on a le temps de décrocher de sa ligne. En revanche, si elle est courte, on est obligé de la prendre tôt si l'on veut créer du déséquilibre."

Créer du déséquilibre, tel est le leitmotiv du terrien, sachant que la finition en deux ou trois frappes est bien souvent proscrite. Pour ce faire, un schéma efficace sur terre est de forcer l'adversaire à effectuer un déplacement arrière-avant.

"En alternance avec les trajectoires bombées, il est intéressant de varier avec des chops courts, qui eux aussi prennent bien sur terre. Il faut donc soit jouer très haut, soit très bas, mais éviter de jouer à hauteur de hanche. C'est pour cela que la balle à plat est moins intéressante sur terre car si elle ne met pas l'adversaire en difficulté, c'est celle qui reste le plus agréable à jouer."

FFT / Corinne Dubreuil
La tenante du titre Barbora Krejcikova excelle dans la variation des trajectoires.
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4/ Travailler l'endurance de vitesse

Tous les grands terriens ont pour point commun d'être extrêmement fort physiquement, c'est entendu. Mais, par rapport à ses schémas de jeu inhérents développés plus haut, la terre battue nécessite des qualités encore plus spécifiques.

"D'une manière générale, au tennis, il faut être rapide mais sur terre battue, vu que la filière de jeu est plus longue, il faut aussi être endurant. En résumé, c'est de l'endurance de vitesse, développe Thierry Tulasne. Pour préparer la saison avec Harold, on a fait beaucoup de travail dans ce sens, avec par exemple beaucoup de séries intermittentes au panier comme des 30-30 (30 secondes d'effort, 30 secondes de recup'), en mixant les déplacements d'avant en arrière ou latéraux."

L'ancien champion du monde juniors (en 1980) conseille par ailleurs de renforcer plus spécifiquement la zone des adducteurs, très sollicités, ainsi que l'épaule, vu le nombre de balles hautes à négocier. Enfin, il est intéressant de faire un travail de dissociation entre le haut et le bas du corps, étant donné que beaucoup de frappes vont se faire en appuis ouverts.

FFT / Nicolas Gouhier
L'élève de Thierry Tulasne, Harold Mayot, apprend à se construire un physique endurant pour le défi de la terre battue.
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5/ Dégainer l'arme bonus : l'amortie

On le voit souvent et même peut-être de plus en plus avec de jeunes joueurs comme Carlos Alcaraz ou Hugo Gaston : l'amortie est une arme souvent fatale sur terre battue, où l'effet légèrement rétro généré par ce coup s'écrase sur l'ocre, produisant un rebond encore plus bas qu'ailleurs.

"L'amortie, qui se joue en position d'attaque, est d'autant plus efficace si l'on est un joueur puissant, car l'adversaire a alors tendance à se mettre plus loin de sa ligne, théorise celui a atteint par deux fois la deuxième semaine à Roland-Garros. Mais pour moi, le secret d'une bonne amortie, c'est d'être capable de bien la masquer, donc de savoir changer sa prise au tout dernier moment."

Enfin, petit conseil sur le plan tactique : "Ne jamais rater une amortie dans le couloir ! Parce qu'en fait, ça ne sert pratiquement à rien de jouer une amortie près de la ligne. Au centre, elle est tout aussi intéressante. Soignez donc son exécution et sa "longueur", mais ne cherchez pas à la jouer excentrée."

FFT / Corinne Dubreuil
L'amortie est un coup efficace sur terre battue, n'est-ce pas Hugo Gaston ?
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6/ Aimer ça !

Finalement, il n'y a pas de "non-terriens". Il n'y a que des joueurs qui, pour une raison ou une autre, peuvent faire un blocage sur cette surface.

"Il est vrai que c'est une surface qui demande des qualités mentales différentes des surfaces plus rapides, conclut l'ancien double tombeur (notamment) de Mats Wilander. Il faut accepter la bagarre, le combat tactique et les conditions de jeu parfois difficiles. Tout cela demande une maîtrise des émotions qui très intéressante."

Voilà pourquoi on dit que la terre battue est si formatrice. Mais, aussi, si difficile à apprivoiser…

(Rémi Bourrières)

Aimez la terre battue, elle vous le rendra !
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