Un jour, un exploit français : Noah-Wilander 1983
Dans l'ère moderne, il reste l'unique Français vainqueur d'un tournoi du Grand Chelem. En 1983, Yannick Noah faisait chavirer la France de bonheur en remportant Roland-Garros. Voici comment.
Le contexte
Le matin du match, le quotidien l'Equipe barre sa Une avec ce titre devenu légendaire : "50 millions de Noah". Toute la France est effectivement dans l'espoir de voir triompher Yannick Noah à Roland-Garros. Un Français qui gagne à "Roland" ? Il faut remonter à 1946 et le succès de Marcel Bernard, d'ailleurs présent dans les tribunes pour remettre la Coupe des Mousquetaires au vainqueur, pour trouver trace de l'événement. Trente sept ans d'attente...
Mais cette fois, en ce dimanche 5 juin 1983, tout semble réuni pour que l'histoire s'écrive du bon côté. A l'exception d'un set perdu face à Ivan Lendl en quart de finale, Yannick Noah a marché sur ses adversaires pendant la quinzaine. A 23 ans, débarrassé de blessures, il est dans la forme de sa vie. Des victoires à Hambourg et Madrid et une préparation "commando" l'ont désigné presque favori du tournoi, alors qu'il est n°6 mondial. Face à lui se dresse le vainqueur de l'an passé, Mats Wilander, pas encore 19 ans, n°5 mondial...
Les deux hommes se sont affrontés un mois plus tôt à Hambourg et Noah avait imposé sa loi (6/4, 6/4). L'exploit semble possible, le soleil est au zénith, le court central est plein à craquer, 15 000 "bobs" décorent les tribunes, la France entière est devant sa télévision à écouter Hervé Duthu, abandonné par son consultant Jean-Paul Loth qui préfère vivre le match des tribunes... Il reste à gagner cette finale. 50 millions de Noah...
Le match
Les deux hommes pénètrent sur le court central sous une "standing ovation". Sous ses dreadlocks, Noah a le regard concentré et la démarche décidée. A l'échauffement, l'arbitre de chaise, le regretté Jacques Dorfmann, demande au public "de ne pas envahir le court à la fin du match, une autre partie devant se disputer". Son injonction ne sera pas entendue...
Le Français, nanti d'un poignet anti-sueur aux couleurs du Cameroun, la nationalité de son père, gagne le tirage au sort et choisit de recevoir. Pas question de subir le coup d'un break d'entrée, comme il le dira plus tard. A la présentation des joueurs, Wilander est chaleureusement applaudi, Noah est acclamé comme un but de Michel Platini au Parc des Princes...
Noah débute par une énorme faute en coup droit. Wilander gagne solidement son premier jeu de service, mais le Français entre très vite dans ce match et impose sa fougue et son jeu d'attaque. Il avale le premier set 6/2 en 36 minutes puis breake assez vite dans la deuxième manche. Le Suédois, d'abord étouffé, recolle à 5-5 grâce à quelques jolis lobs, sa meilleure arme en défense. Mais il ne peut empêcher son rival, toute rage dehors, de se détacher deux sets à rien (6/2, 7/5).
Le troisième acte est celui où la France tremble. Invaincu à Roland-Garros avec 13 succès en 13 matchs, Wilander ne va pas lâcher son titre aussi facilement. Et Noah, devenu plus nerveux alors qu'il se rapproche de son Graal, ressent un début de crampes dans les jambes. La décision va se faire au tie-break (pas d'appellation jeu décisif à l'époque). Au premier rang des tribunes dans l'axe du court, le clan Noah souffre, Marie-Claire, sa mère, a du mal à dissimuler son stress...
Le Français s'offre un mini break d'entrée, annulé par le Suédois qui égalise à 1-1 malgré quatre volées de suite athlétiques de "Yan". L'élève de Patrice Hagelauer grimace mais repart à l'assaut. Il retourne au filet claquer une volée de revers tranchante pour se détacher 3 points à 1 et hurler tel un possédé "quatre points, quatre points !"... Rien ne l'arrêtera, pas même un (rare) ace de Wilander ni même un lob magistral qui annule la première balle de match.
La seconde sera la bonne. Première balle puissante, le retour de coup droit de Wilander s'égare loin derrière la ligne de fond de court (6/2, 7/5, 7/6 (3) en 2h25). Noah tombe à genoux, ivre de bonheur, tourné vers Patrice Hagelauer. Il se relève, se retourne et aperçoit un homme qui a sauté du haut de la tribune pour se précipiter vers lui. C'est son père Zacharie, venu le prendre dans ses bras au milieu du court. Yannick regrettera plus tard la poignée de main furtive avec Wilander, mais l'étreinte paternelle fera chavirer tous les cœurs de France. Un Français a gagné Roland-Garros. Et le court central est envahi de gens heureux...
Le match en vidéo
Et ensuite
Après une fiesta mémorable le soir même, Yannick Noah connaîtra une période d'après-victoire difficile, "une petite déprime" même dira-t-il. Mais la suite de sa carrière sera jalonnée d'autres grandes victoires (il sera n°3 mondial) et d'autres grands matchs à Roland-Garros, même s'il ne gagnera pas d'autres tournois du Grand Chelem et sera battu l'année suivante en quart de finale à Paris par... Mats Wilander, en cinq sets.
Son après carrière a été aussi triomphale, entre ses succès de capitaine de Coupe Davis, de Fed Cup, de chanteur... Le roman de la vie de Yannick Noah est riche, très riche.
Mats Wilander, lui, remportera un total de sept titres du Grand Chelem dont trois Roland-Garros (1982, 1985, 1988). Il sera n°1 mondial pour la première fois en septembre 1988.
(Guillaume Baraise)