Laura Rocchi : "Grâce au tennis, j'ai toujours pu rebondir"

14 novembre 2023

Laura Rocchi : "Grâce au tennis, j'ai toujours pu rebondir"

Championne de France 17/18 ans en 2003, la Corse a ensuite repris les études. Et, c’est un euphémisme, sa reconversion a été couronnée de succès : la "reine des amorties" est désormais Senior Manager dans un prestigieux cabinet d'audit, conseil et expertise comptable.  

Quels ont été vos premiers rapports avec le tennis ?

J'ai commencé quand j'avais quatre ans, parce que mon père s'était mis à jouer. Il m'a emmenée avec lui et j'ai tapé mes premières balles sur le terrain de l'Open, à Bastia. J'ai bien accroché et comme je n'étais pas la plus mauvaise du club, ça m'a incité à continuer.

De fil en aiguille, je me suis mise à faire de la compet avant de devenir championne de Corse. Bon ce n'est pas une grande gloire selon moi, mais c’était déjà bien (rires) ! Je me suis prise au jeu des tournois, des entraînements, de la progression.

À 7 ou 8 ans, ça commençait à devenir plus sérieux. Je me souviens de mon premier déplacement, à Aix-en-Provence. On faisait des rassemblements interrégionaux avec les ligues du sud de la France. Et à sept ans, je suis partie comme ça, sans mes parents. C'était le grand bain et c'était énorme : en CE1 ou CE2, partir faire du sport le week-end avec les copines, on pouvait difficilement rêver mieux. 

Avez-vous commencé à imaginer une carrière dans le tennis à cet âge ?

À partir de 12 ou 13 ans, le projet est devenu de plus en plus sérieux. Mes parents m'ont licenciée à Marseille car on savait que je devais partir de Corse pour bénéficier de structures plus avantageuses et de plus de concurrence. Tout est plus compliqué lorsqu'on vient d'une île et le sport ne déroge pas à cette règle. Même si je suis restée en Corse jusqu'à 13 ans et demi, un âge où mes résultats au niveau national commençait à devenir intéressant.

J’ai gagné les Petits Ducs, l’équivalent des championnats de France d’hiver. Je suis montée 1/6 en faisant quelques tournois pendant les vacances scolaires. Puis je suis donc partie à Marseille, alors que mes parents sont restés en Corse. Mon premier club là-bas a été le TC de Toursainte, j'y suis restée un an. Parmi mes entraîneurs, il y avait notamment Christophe Lambert qui entraîne aujourd'hui Bianca Andreescu.

Puis j'ai atterri au Country Club Aixois pendant un an. J'étais -2/6 à l'époque. J'ai alors eu l'occasion d'aller m'entraîner dans une structure privée pas loin du "Country". Il y avait là-bas six joueuses, entre 100e et 300e mondiale : Camille Pin, Séverine Beltrame, Laurence Andretto, Emmanuelle Edon... C’était une vraie opportunité car j'étais nettement plus jeune et moins bien classée que les autres.

C'était une structure personnalisée, les filles ne faisaient que ça. J'y suis restée trois ans. L'entraîneur était Éric Bremond. En quelques années, j'ai beaucoup progressé, je suis montée n°27. Forcément, quand on s'entraîne 10 heures par jour, ça finit par rentrer !

Je suis restée là-bas jusqu'à mes 18 ans. J'ai eu de la chance de ne jamais me blesser. Même pas deux jours ! Mais la structure s’est arrêtée. J'étais 430e mondiale et je jouais plutôt bien. J'ai passé quelques semaines à la FFT mais j'ai fini par partir. Ça a lancé la fin de "ma carrière". Je dis entre guillemets car on ne peut pas dire qu'elle fut immense ! Je me suis retrouvée "à poil" en termes de structure et en difficultés financières.

Scolairement, quel était votre niveau ?

À partir de la seconde, j'étais déscolarisée, je faisais le CNED par correspondance. Ça n'avait rien à voir avec aujourd'hui. Il n'y avait pas internet, on devait se trimballer avec des livres partout et envoyer les devoirs par courrier. Je pense que la complexité du dispositif à l'époque explique pourquoi beaucoup de joueurs abandonnaient alors les études. J'avais passé ma seconde au CNE.

L'hiver en prépa foncière, on faisait du physique 10 à 12h par jour. Je n'avais que le dimanche comme jour de repos. Et ce dimanche, je le passais devant mes cahiers du CNED... Bref, j'ai arrêté mes cours en première, même si je sentais la pression de tout mon entourage pour avoir le bac. Donc 18 ans et demi, déscolarisée, plus d'argent... 

Quelle a été votre attitude alors ?

J'avais deux options : soit végéter pendant dix ans, soit me bouger pour changer de vie. Ça n'a pas été facile car j'étais habituée à une structure très professionnelle de grande qualité avec un vrai volume d'entraînement. J'ai eu une proposition d’un club, le CSG, qui est devenu ensuite le Lagardère, pour m'entraîner.

Mais je me suis rendue compte que c'était largement en dessous du niveau que je connaissais dans la structure privée. Le tennis de haut niveau étant tellement exigeant, je ne pouvais pas me permettre de m'entraîner simplement dans un club si je voulais être top 100 ou top 200. Soit on le fait à 100%, soit on passe à autre chose. J'ai mis un an à savoir ce que j'allais faire. Et je me suis dit qu'il était temps de bifurquer. 

Cap sur la reprise d’études donc.

J’ai laissé passer quelques mois. Puis en 2005, j'avais 18 ans, je me suis pointée devant le proviseur du lycée Notre-Dame à Boulogne-Billancourt. Il y avait aussi le lycée La Fontaine à côté de "Roland" mais il fallait suivre des cours le samedi matin, ça ne m'emballait pas (rires) ! L'année était déjà entamée, on était fin octobre. Je me présente et je lui dis que je veux reprendre l'école.

Et j'ai donc repris en première littéraire. Comme quelqu'un de normal, sauf que ça faisait des années que je n'avais plus passé des heures assises sur une chaise. Je faisais jeune, certes, mais j'étais avec des élèves qui avaient quatre ans de moins que moi. Ce qui était bien, c'est qu'il y avait des horaires aménagés, je terminais à 13h donc je pouvais continuer à m'entraîner. Grâce à ça, je suis restée -30 et je pouvais faire ce que j'aimais le plus : la compétition. Je jouais des CNGT, ce qui permettait d’être nourrie et logée. Ça m'a permis de financer mes études.

Année après année, Laura Rocchi a gravi les échelons dans un grand cabinet d'audit.

© Année après année, Laura Rocchi a gravi les échelons dans un grand cabinet d'audit.

Passer du monde du sport pro à une vraie reprise d’études n’a pas dû se faire sans difficultés ?

Je suis tombée sur des gens qui n'y croyaient pas, qui me disaient que j'étais une "cassoce". D'autres qui étaient nettement plus bienveillants. Et ce qu'il faut savoir, c'est que je n'étais pas non plus folle, j'avais choisi aussi ce lycée Notre-Dame car ce le proviseur était au conseil d'administration du TCBB, je savais que c'était un passionné de tennis ! Via le tennis, j'ai toujours pu rebondir. C'est une porte d'entrée formidable qui m'a permis de m'insérer professionnellement.

J'ai eu mon bac mais la suite restait floue. À l'école, les élèves parlaient de prépa, de grandes écoles... Mais moi je n'y comprenais rien, j'avais baigné dans un univers complètement différent. J'ai fait quelques années dans une école de management qui proposait des horaires aménagés puis je me suis mise à faire pas mal de recherches. Petit à petit, je me suis intéressé à la filière comptabilité expertise comptable. J’ai sélectionné l’université Dauphine, c’était aussi bien très prestigieux qu’abordable.

Et une fois encore, le tennis m’a sauvée ! Le directeur des sports de Dauphine adorait le tennis, protégeait les sportifs, et leur permettait de se lancer dans des reconversions. Une fois en licence, il y a eu un choc de travail à fournir. Il m'a fallu un trimestre pour m'adapter, mais ensuite je me sentais à l’aise.

J’ai choisi l'alternance car j'étais un peu "vieille", 26 ans. Ça ne m'emballait pas plus que ça honnêtement d'aller travailler tous les jours mais je me suis dit que c'était une bonne chose d'avoir deux ans d'expérience sur le CV . Pendant deux ans, j'ai pratiqué de l'expertise comptable dans un petit cabinet où j'ai accumulé de l'expérience.

Les fans de tennis connaissent le fameux Big Four - Federer Nadal Djokovic Murray. Mais ce surnom fait aussi référence aux quatre géants de l’audit : EY, Deloitte, PwC et KPMG. C’est dans cette dernière entreprise que vous avez achevé votre reconversion.

En Master II, dès le début d'année calendaire, j'ai cherché un job pour la rentrée. J'ai entendu parler des Big 4, les gens disaient c'est super dur, super "challengeant"… Je crois que c'est ce qui m'a attiré. J'ai donc postulé et passé les entretiens tout à fait normalement pour rentrer en tant que consultante junior en 2014.

Mais il faut noter que - encore une fois ! – le tennis m’a donné un coup de main. J'avais participé à un tournoi de tennis, le KPMG Tennis Masters Tour, un tournoi avec KPMG en tant que sponsor titre. Les grandes écoles y envoyaient une équipe pour jouer un format qui s'étale sur trois jours. C'était hyper bien organisé : à la Baule, tout le monde était bien logé, avec des animations durant la compet. On se serait cru dans un mini WTA.

Dans ce genre de tournois, j'étais souvent la meilleure joueuse. Une fille de KPMG qui adorait le tennis m'avait remarqué et proposé un poste en alternance. Je lui avais répondu que j’étais déjà engagée auprès d'un cabinet... mais que je la rappellerais pour un CDI. Et elle a poussé mon CV en haut de la pile. Bon j'ai rendu la pareille en retournant faire ce tournoi plusieurs fois (rires) ! Mais en vrai c'était top d’y aller.

C'est comme ça que je suis rentrée au sein du cabinet KPMG. J'ai passé neuf ans en audit grands comptes à Paris avant de déménager à Marseille il y a peu. J'ai évolué comme tout le monde, passant les échelons les uns après les autres. Maintenant je suis senior manager en audit. En revanche, je suis encore en stage de commissariat aux comptes parce que... il y a eu une grossesse, un bébé, plein de choses à faire !

Mon copain est de Vitrolles, à côté de Marseille, et c'est un petit clin d'œil du destin car j'ai habité dans cette ville quand j'étais à l'académie d’Éric, 20 ans en arrière. 

Gardez-vous des souvenirs de votre titre de championne 17/18 ans ?

Bien sûr. Les championnats étaient au stade Roland-Garros. J'étais tête de série n°2, j'avais fait plutôt un bel été, j'étais en forme. J'avais joué contre Anaïs Laurendon en finale qui était bien classée, environ 250e mondiale à cette époque. Pour une finale de juniors, c'était franchement honorable.

J'avais gagné en trois sets 6/3, 3/6, 6/3. Principalement parce que je faisais des amorties. Tennis Magazine avait écrit « Laura Rocchi, la reine des amorties ». Bon, c’est vrai que 19 amorties gagnantes lors d'un match en trois sets, c'est assez déterminant (rires).

La totalité de l'entretien est à retrouver dans le prochain numéro de Tennis Info

L'article du mensuel de la FFT Tennis Info qui relate la victoire de Laurent Rocchi aux championnats de France en 2003.

© L'article du mensuel de la FFT Tennis Info qui relate la victoire de Laurent Rocchi aux championnats de France en 2003.