Dans ce nouvel de "Conseils aux compétiteurs", actualité oblige, on s'intéresse aux nombreux pièges qui guettent celles et ceux qui disputent leur premier Roland-Garros. Qui sait, cela peut vous arriver un jour (ou plutôt l'équivalent d'un Roland-Garros pour vous) !
Kyrian Jacquet, Clément Tabur, Ugo Blanchet (photo), Valentin Royer, Sarah Rakotomanga, Loïs Boisson… Tous s'apprêtent à disputer cette année leur premier Roland-Garros dans le tableau final. Un moment toujours magique dans la carrière d'un joueur et d'une joueuse français(e), mais aussi souvent très délicat à gérer, tant les attentes sont fortes et les émotions décuplées.
"Le stress, l'attente des gens, l'argent… Il y a énormément de pièges autour d'un premier match à Roland, c'est la raison pour laquelle beaucoup se prennent les pieds dans le tapis, résume l'ancien 50e joueur mondial Stéphane Robert, qui joue un rôle important dans cette aventure cette année en tant que coach d'Ugo Blanchet et de Kyrian Jacquet. Ces pièges sont très différents et propres à chacun. L'idée, c'est d'en parler ensemble avant, de manière à être moins touché émotionnellement si la situation se produit. Mais bon, c'est facile à dire…"
Plus difficile à faire, en effet. Pour vous donner une idée de la complexité de la tâche, aucun joueur de la génération des "nouveaux Mousquetaires" (Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils, Richard Gasquet, Gilles Simon) n'a gagné son premier match à Roland-Garros. Pas plus que Yannick Noah, seul vainqueur masculin français du tournoi dans l'ère Open, ou Amélie Mauresmo, tous ayant certes disputé leur premier match Porte d'Auteuil alors qu'ils étaient très jeunes.
Peut-être certains d'entre vous qui lisez ces lignes jouerez un jour à Roland-Garros, c'est tout le mal que l'on vous souhaite ! Mais même s'il s'agit d'un tournoi plus modeste qui vous tient particulièrement à cœur, retenez ces conseils de champions qui pourront vous être utiles.
Laisser trop d'influx avant le tournoi
Le premier piège est susceptible de se refermer avant même que le tournoi n'ait commencé. Roland-Garros, c'est un bouillonnement permanent, une excitation générale qui commence bien avant le premier match. A domicile, les joueurs français sont mis sur le devant de la scène beaucoup plus qu'ailleurs.
"Quand on est à Paris, on est souvent très sollicité, notamment par les demandes médiatiques, et on peut y laisser beaucoup d'énergie, confirme ainsi Arthur Fils, qui a perdu ses deux premiers matchs à Paris en 2023 et 2024. Cette année, on a fait en sorte, avec mon équipe, de mieux gérer cela. On n'a pas passé beaucoup de temps avec les médias, désolé ! Je pense également avoir perdu moins d'énergie dans la gestion de mes entraînements, tout simplement parce que je m'entraîne mieux."
La préservation de son influx avant le tournoi est capitale dans l'optique de la gestion physique et mentale de ses matchs, souvent plus énergivores à Roland-Garros qu'ailleurs. Surtout pour les hommes, avec le format des cinq sets.
© Cédric Lecoq / FFT
Arthur Fils espère que son expérience va lui permettre de gagner son premier match à Roland-Garros, pour sa troisième participation.
Etre envahi par le stress
Reste un aspect qu'il est difficile de maîtriser totalement en amont : l'afflux de stress, forcément décuplé dans un pareil événement. Mieux vaut être averti pour éviter d'être surpris : l'effet peut être saisissant, voire paralysant. Parlez-en à l'ancien joueur français Florent Serra (36e mondial en 2006) : pour son premier "Roland" dans le tableau final en 2004, il avait manqué neuf balles de match (oui, neuf) avant de s'incliner face à Vince Spadea.
"J'ai clairement été rattrapé par le stress au moment de ces balles de match, se souvient le Bordelais. Sur l'une d'entre elles, j'avais commis une double faute en expédiant la balle en dehors des limites du court ! C'est un match qui m'a fait très mal mais qui m'a aussi beaucoup servi. L'année d'après, j'ai mieux géré mon stress, je suis rentré dans le top 100 et j'ai gagné mon premier match à "Roland". Avec le recul, j'aurais pu mieux anticiper ces choses en faisant, notamment, un travail autour de la confiance en soi."
Se croire arrivé ou, au contraire, ressentir un sentiment d'illégitimité
Quand on se retrouve pour la première fois dans un grand monde peuplé de stars qu'on n'avait l'habitude de ne voir qu'à la télé, on peut être rattrapé par le fameux syndrome de l'imposteur.
"C'est quand même très différent de jouer son premier Roland-Garros en étant invité ou en étant sorti des qualifications, estime Stéphane Robert. Quand on a une wild card, on peut parfois se poser quelques questions. Alors que quand on se qualifie, on ressent généralement une plus grande légitimité. Mais attention : il ne faut pas non plus se croire arrivé et commencer à se prendre pour un autre. Après, il faut voir aussi le tirage au sort, qui peut changer la donne mentalement. Mais quoi qu'il en soit, même si on joue une star, il faut vraiment se mettre dans la tête que si on est là, c'est qu'on a tout à fait sa place."
© FFT / Cédric Lecocq
Loïs Boisson va disputer son premier Roland-Garros dans la cour des "grandes".
Ne pas profiter du moment
Engoncé dans ces différentes problématiques de gestion émotionnelle voire identitaire, vous pouvez facilement en oublier l'essentiel : profiter à fond de cette chance, ce privilège immense de jouer Roland-Garros (ou tout autre tournoi cher à vos yeux !)
"Le piège, c'est de ne pas arriver à se lâcher et à profiter du moment présent, confirme Richard Gasquet, qui s'apprête à jouer son 22e et dernier Roland-Garros (un record), mais qui n'y a gagné un match qu'à sa quatrième participation, en 2005. Quand vous rentrez sur le court pour la première fois à Roland-Garros, c'est forcément difficile parce que vous avez regardé ce tournoi toute votre vie. Mais il faut mesurer sa chance, se faire plaisir, extérioriser les choses, aller chercher le public et tout donner."
Profiter du moment, c'est avant tout rester soi-même, jouer son jeu sans "surjouer", ce qui est un piège classique lorsqu'on affronte un adversaire mieux classé, ou mieux "coté". "C'est ce que Kyrian est bien arrivé à faire en qualifications : il a pratiqué son tennis agressif qui ne dépend que de lui, se satisfait Stéphane Robert. Il va falloir désormais qu'il reste dans cette stratégie, quel que soit son adversaire : le piège principal serait de ne pas jouer son jeu."
© Nicolas Gouhier / FFT
Kyrian Jacquet va se servir de ses émotions positives des qualifications avant d'aborder son premier match dans le grand tableau.
Mal gérer le public
Le public, évoqué un peu plus haut par Richard Gasquet, représente un autre aspect fondamental à Roland-Garros, où les joueurs français bénéficient d'un soutien fabuleux mais dont ils n'ont pas forcément l'habitude. Cet aspect là aussi, il faut l'apprivoiser.
"L'autre jour, pendant un de ses matchs de qualifications, Ugo (Blanchet) était soutenu par un groupe d'une vingtaine de personnes qui criaient après chaque point, raconte Stéphane Robert. Il ne s'attendait pas à une telle ambiance. Il l'a bien géré, sauf sur la fin où il s'est projeté un peu. Ici, à Paris, le public est fabuleux, les joueurs ont envie d'en profiter, c'est normal. Mais le danger, c'est de sortir un peu du moment présent. C'est comme pour tout : il faut se focaliser sur les choses qui ne dépendent que de soi. A partir du moment où l'on commence à s'occuper de ce qui se passe à côté, on est en danger."
L'équilibre peut être subtil à trouver entre le fait de rester dans sa bulle et de vouloir en prendre plein les yeux. Mais quelle que soit sa façon de vivre ce baptême parisien, il faut le vivre à fond, pour ne rien regretter. "Ce sont certes des moments qui ne sont pas faciles, mais qui sont incroyables, parce que l'on se souvient toujours de sa première fois à Roland-Garros", conclut Richard Gasquet.
"C'est quelque chose qui vous marquera à vie."
© Pauline Ballet / FFT
Le public de Roland-Garros peut être un atout, y compris pour un "débutant".