Dans ce nouvel opus de Conseils aux compétiteurs, nous évoquons un aspect de l'entraînement très développé chez les professionnels mais quasiment pas chez les amateurs : le travail de l'œil. Voici trois bonnes raisons de vous y mettre !
"Ce joueur a un excellent coup d'œil…" Voilà bien une expression que l'on entend depuis belle lurette au tennis, mais qui demeure un peu abstraite tant elle fait appel à de nombreux paramètres : l'intelligence de jeu, le sens de l'anticipation… mais aussi, au sens premier du terme, l'œil proprement dit.
L'œil est un organe, celui de la vision comme chacun sait, dont les performances sont intimement liées à celles des six muscles extra-oculaires qui le composent et – ceci étant peut-être lié à cela - à la vitesse de connexion neuronale. Or, ces performances-là se travaillent, comme n'importe quel autre domaine physique.
C'est quelque chose de désormais complètement intégré chez de nombreux professionnels, qui en parlent de plus en plus à l'image des deux vainqueurs de Wimbledon, Jannik Sinner et Iga Swiatek, ou, côté français, de Loïs Boisson, laquelle évoquait son approche neuro-visuelle de l'entraînement pendant son parcours à Roland-Garros. Avec le succès que l'on a vu…
Du côté des amateurs en revanche, le travail de l'œil demeure, la plupart du temps, une notion très floue. Avec l'aide de Sébastien Poublet et Yohan Delabriere, préparateurs physiques à la FFT où ils travaillent régulièrement sur E(ye) Motion, une machine ultra perfectionnée qui permet de développer ses performances oculaires, nous avons déterminé trois bonnes raisons de vous y mettre.
1) C'est un des plus sûrs moyens de progresser
C'est tout bête, mais c'est quand même la meilleure des raisons. On peut discuter des heures quant à savoir la meilleure qualité athlétique à développer pour un joueur de tennis (la vitesse, l'endurance, la force, la souplesse ?), cela dépend aussi un peu du profil de chacun. En revanche, une chose est sûre : l'œil est primordial, pour tout le monde, et dans des proportions aussi grandes.
"Les amateurs ont tout intérêt à travailler leur œil comme les pros, et j'irais même jusqu'à dire que c'est tout aussi important de le travailler que n'importe quel autre paramètre physique, confirme Sébastien Poublet, préparateur physique à la FFT où il collabore étroitement avec Giovanni Mpetshi Perricard, qui a beaucoup travaillé sur ce point ces dernières années – on va y revenir. Avec les analyses que nous pouvons faire sur E(ye) Motion, on se rend compte que le niveau tennistique est intimement lié au niveau de performance oculaire. Un 15/2 est très loin d'avoir le même niveau de perception qu'un -4/6, par exemple. En revanche, avec un travail spécifique, il va réaliser des progrès qui peuvent lui permettre de gagner plusieurs classements."
Cela vaut le coup d'essayer, en effet… Avoir un bon œil permet de mieux lire les trajectoires de la balle adverse, décoder où il va falloir la frapper, avoir une meilleure qualité de centrage... Les quelques centièmes voire millièmes de seconde gagnées peuvent paraître dérisoires, mais font pourtant une différence cruciale.
A condition évidemment de savoir ensuite les exploiter par un bon sens du jeu. "Mais c'est valable pour tout autre critère physique, poursuit Yohan Delabriere. Il y a des joueurs qui courent très vite et qui, pourtant, couvrent moins bien leur terrain que d'autres. Quand on dit avoir un bon œil au tennis, c'est en réalité un ensemble de critères qui sont imbriquées."
Mais l'œil proprement dit, malgré tout, se travaille. La FFT s'y emploie avec la technologie au service de son expertise, grâce notamment à une machine appelée E(ye) Motion, implantée au CNE, où les joueurs peuvent bénéficier d'un moyen moderne pour améliorer leur vision centrale et périphérique, déceler leurs éventuelles carences, définir leur latéralité, etc.
© FFT / Andre Ferreira
Le CNE permet aux joueuses et aux joueurs de disposer de nombreuses technologies avancées.
2) De nombreux pros le font
Cela fait longtemps que l'on connaît, au tennis, l'importance de l'œil et plus précisément encore l'importance de "la coordination œil-main", rappelle Yohan, qui est arrivé en septembre dernier au CNE, où il a été formé spécifiquement à E(ye) Motion. Mais travailler l'œil plus spécifiquement grâce à de telles machines, c'est assez nouveau.
Une vague venue déferler dans le milieu du tennis (et d'autres sports) grâce aux témoignages de nombreux champions, et pas des moindres, qui n'hésitent plus à rendre public leur travail effectué au niveau visuel. A l'instar de Jannik Sinner, de Novak Djokovic, de Carlos Alcaraz, ou d'Iga Swiatek, que l'on voit souvent faire leur gymnastique oculaire avant d'entrer sur le court. L'œil est un organe dont on a compris qu'il fallait l'échauffer minutieusement, au même titre que le cardio ou n'importe quel muscle.
En France aussi, de nombreux joueurs et joueuses s'y sont mis, comme Loïs Boisson dont on a parlé, mais aussi Giovanni Mpetshi Perricard, qui a fait un gros travail spécifique sur E(ye) Motion, où ses performances sont devenues impressionnantes. On évoque souvent son service et sa puissance, mais ses progrès sont aussi venus de ce travail de l'ombre, même si c'est plus difficilement quantifiable.
© Julien Crosnier / FFT
Le monumental service de "Gio" Mpetshi Perricard doit aussi beaucoup à son acuité visuelle.
"Même si l'on en fait moins une priorité aujourd'hui, il y a eu une période où l'on a effectivement énormément travaillé son œil, confirme son préparateur physique. Bien sûr, le transfert sur le terrain n'est pas toujours immédiat mais à partir du moment où l'on constate des progrès sur E(ye) Motion, cela ne peut être que bénéfique : il y aura une meilleure qualité de concentration et une meilleure utilisation de la vision périphérique, celle qui sert à analyser les trajectoires très rapides que le regard ne peut pas suivre. Dès lors, on pourra renvoyer des balles que l'on ne renvoyait pas avant."
On n'en a pas parlé mais, effectivement, les performances oculaires permettent aussi de développer les capacités de concentration. "Dans les exercices que nous pratiquons sur E(ye) Motion, nous demandons au joueur de voir vite, bien sûr, mais d'abord de ne pas faire d'erreurs. Et ce le plus longtemps possible. Cela demande une concentration extrême", explique ainsi Yohan Delabriere. Et quel que soit son niveau au départ, à partir du moment où l'on travaille son œil, on va progresser."
Or, inutile de rappeler l'importance de la concentration au tennis, chez les pros comme chez les amateurs. Raison de plus pour travailler son œil, surtout dans une société moderne où celui-ci est mise à rude épreuve par le temps passé devant les écrans.
3) C'est très facile de travailler l'œil
Evidemment, tout le monde n'a pas accès à la technologie E(ye) Motion. Pour autant, le travail de l'œil demeure très facile à faire via des exercices de terrain beaucoup plus simples. On le voit avec les routines d'échauffement des champions dont on a parlé. Yoga oculaire, bâtons lumineux, balles de couleur… Il existe de nombreux exercices ou accessoires très accessibles pour développer son oculomotricité.
"Parfois, on travaille son œil sans même s'en rendre compte : faire des jongles, par exemple, c'est un excellent exercice, conseille Yohan Delabriere. "Il n'y a pas besoin de machine ultra moderne. Mais quoi qu'il en soit, intégrer un travail oculaire en début d'entraînement, comme on fait ses gammes de montées de genou, c'est très pertinent même au niveau amateur, même s'il ne faut bien sûr pas faire que cela non plus."
"On peut même faire quelques exercices soi-même, comme par exemple prendre une balle dans chaque main, les lâcher au sol et se taper les mains dans le dos puis devant soi avant de les rattraper avant le deuxième rebond, enchaîne Sébastien Poublet. Il y a beaucoup d'exercices très simples qui permettent de travailler la coordination et la vitesse de réaction. Et effectivement, je conseille d'en faire car ce qui pollue la progression de tout individu d'une manière générale, c'est le travail routinier."
Même si la gymnastique neuro-visuelle n'est pas encore vraiment rentrée dans les mœurs chez les amateurs, il est donc peut-être temps d'y jeter un œil. Meilleure vision du jeu, meilleur temps de réaction mais aussi, par un effet de cercle vertueux, meilleure concentration, meilleure fréquence cardiaque, diminution du stress… Pour un "travail" relativement peu pénible, vous risquez d'être fort bien payé. Et d'en mettre plein les yeux à votre adversaire.