Nommé DTN en mars dernier, l’ancien joueur puis entraîneur de rugby entend insuffler une dynamique collective afin de permettre plus de succès individuels. Parmi ses chantiers prioritaires, le fait de mieux accompagner nos espoirs vers le très haut niveau, ainsi que l’optimisation de l’École de tennis au sein des clubs, tout en valorisant mieux les spécificités du métier d’enseignant et en intégrant d’anciens champion(nes) dans l’encadrement fédéral. Échanges.
Vous venez d’un univers différent, celui du rugby : qu’est-ce qui vous a motivé à relever ce défi au sein de la Fédération Française de Tennis ?
Après avoir entraîné les équipes de France de rugby ou occupé le poste de directeur du développement sportif de l’ASM Clermont Auvergne, j’avais envie de découvrir un nouvel environnement, de relever un nouveau challenge dans un sport complètement international puisque le tennis est pratiqué partout dans le monde, en loisirs comme au haut niveau, bien plus que ne l’est le rugby. Roland-Garros représente par ailleurs un événement, un fleuron du sport français comme peuvent l’être le Tour de France ou le tournoi des VI Nations. Il est organisé par une fédération dynamique, innovante dans l’approche avec ses clubs, ses enseignants, qui met en place de nouvelles pratiques ludiques (padel, pickleball, beach tennis). Il y a enfin le fait que ce soit un sport individuel avec des parcours hors normes, ce qui rend les choses passionnantes. Dans ce contexte, je me suis dit que je pouvais apporter ma pierre à l’édifice, ma vision, en essayant d’inclure une dimension, une dynamique collective car on constate, à Roland-Garros et ailleurs, que quand les supporters encouragent les Français, ça booste l’ensemble du projet. On le voit aussi dans les autres Grands Chelems quand des Australiens évoluent devant leur public à l’Open d’Australie, les Anglais à Wimbledon ou les Américains à l’US Open.
Comment vous sentez-vous dans ce costume de DTN, quel est votre ressenti au bout de trois mois d’exercice ?
Au départ, j’ai eu la sensation de sauter dans un train en marche, avec une forme de vitesse dans le travail, d’autant que Roland-Garros allait démarrer. En parallèle, j’ai senti une attente, une forme de curiosité envers moi par rapport à ce que je pouvais proposer. J’ai été très agréablement surpris de rencontrer des gens ouverts par rapport à quelqu’un qui ne vient pas de leur milieu. Après une période d’observation, de réflexion, il a fallu proposer des choses puis les améliorer.
Justement, pouvez-vous nous donner les grandes lignes de votre politique sportive fédérale ?
Il y a une vraie logique sur le haut niveau qui consiste à accompagner les parcours, souvent atypiques. Très tôt, le joueur devient le chef de sa propre entreprise, contrairement au rugby et à d’autres sports collectifs où le club prend tout en charge. Là, les joueurs et joueuses doivent gérer leur projet sportif dans toute sa dimension, payer un coach, un kiné, les déplacements, effectuer très tôt des choix de carrière ou de programmation, etc. Il faut donc les aider et les accompagner dans cette dimension, qui ne consiste pas simplement à bien jouer au tennis. Il faut le faire en prenant les gens dans leur originalité, leurs besoins, parfois leurs racines locales, car on ne peut pas formater un futur champion en route vers le haut niveau. Il faut donc mettre en place des structures ou des équipes qui suivent ces jeunes talents, en tenant compte de situations particulières. Cette structure d’accompagnement doit évoluer, surtout pour les filles.
Le deuxième grand chantier concerne l’École de tennis. Elle mélange l’ambition d’avoir beaucoup de licenciés, puisque la FFT en compte désormais 1,2 million, mais d’être aussi le début du haut niveau, puisque tout futur champion y effectue ses débuts, y apprend la technique, y dispute ses premiers points. C’est aussi dans ce lieu que le jeune fait la connaissance de ses premiers enseignants. À nous de les valoriser, de mettre en avant leurs compétences, de reconnaître leur engagement et les contraintes du métier (travail le mercredi, en soirée, le week-end, isolement, etc.), afin de générer davantage de vocations, notamment chez les femmes. Et bien sûr, cette École de tennis est en évolution à travers ce projet d’optimisation, notamment inspiré des méthodes de Walter Gouy, qui partent de constats effectués sur le terrain et fonctionnent bien. C’est génial car ça permet de multiplier le nombre de frappes lors d’une séance et donc de progresser plus vite, tandis que les coachs juniors s’impliquent dans la vie de leur club et auront peut-être envie de devenir enseignants.
Pour vous, le club remplit de nombreuses fonctions...
Oui, il est d’abord recruteur de talents à travers différentes opérations comme le tennis scolaire, l’Urban Tennis, des stages et bien d’autres pratiques qui permettent de découvrir et d’apprécier le tennis. Ensuite, il forme ces jeunes ainsi que les adultes grâce à des cours. Et même si tous ne connaîtront pas le haut niveau, on peut mieux réussir sa vie grâce à ce sport en étant un bon joueur de club, un enseignant ou un CQP, arbitre ou juge-arbitre, bénévole, ramasseurs de balles, membre du bureau, ou tout simplement rester en bonne santé. Dans un club, on peut se faire des amis, rencontrer des gens, même trouver son mari ou sa femme car il s’agit aussi d’un formidable lieu de vie. Quand je regarde les championnats de France des 80 ans disputés à Roland-Garros, je me dis également qu’il s’agit d’une formidable publicité pour le tennis : on y voit des gens âgés, en pleine forme, souriants et autonomes. Le sport peut vraiment être un moyen pour vivre mieux.
Que pensez-vous des nouvelles pratiques ?
J’ai par exemple essayé le pickleball que j’ai trouvé accessible, ludique, tout comme le padel dans le jeu avec le mur et les parois. On peut tout de suite s’y amuser. Ça permet d’être dans un club de tennis et, par exemple, à des grands-parents de jouer avec leurs petits-enfants, entre amis ou en famille, malgré les différences de niveau. À chacun de trouver ce qui lui convient, mais il est évident que la pratique multi-raquettes est au cœur du loisirs. On le constate d’ailleurs chaque été sur les plages où les Français de tous âges prennent différents types de raquettes pour s’amuser. On a un vrai potentiel grâce à ce panel d’activités. Pour ce qui est du Pickleball, la FFT a demandé avec conviction à l’Etat de lui en confier la délégation ministérielle dès cette année. Depuis janvier 2024, elle a mis tout en œuvre pour en garantir son développement harmonieux et pérenne : mise à disposition d’espaces de jeu, formations qualifiantes pour les enseignants professionnels, accompagnement des clubs dans la création de sections dédiées, organisation de compétitions ...
En termes de résultats, on l’a vu avec la demi-finale de Loïs Boisson à Roland-Garros, le tennis français suscite beaucoup d’attentes...
Forcément. Beaucoup de pays se satisferaient de nos résultats, d’avoir selon les semaines entre 10 et 15 joueurs dans le Top 100. Mais quand on voit ce que représente le tennis dans l’univers du sport français, on sent effectivement une attente. Il faut travailler pour parvenir à cette confirmation. Quand un sportif ou une sportive remporte un grand tournoi, il s’agit toujours d’une victoire collective : il ou elle a débuté dans un club avec un enseignant passionné, avant d’être repéré et pris en charge par un comité puis une ligue, et ensuite des structures de haut niveau. Sans oublier tous ces tournois internationaux organisés chaque semaine en France dans toutes les catégories qui permettent aux joueurs et joueuses d’y faire leurs armes. Remettons en marche ce collectif.
Quels sont vos premiers chantiers prioritaires
Forcément le haut niveau, avec un effort à faire sur la pratique des filles. Donner également un nouveau souffle à nos écoles de tennis mais aussi à nos enseignants-formateurs, ce qui passe sans doute aussi par une évolution des diplômes tant l’environnement du tennis et des autres pratiques a évolué. Il faut que ces diplômes soient aussi plus en phase avec les aspirations de la FFT, ce qui implique peut-être la création d’un diplôme d’entraîneur de haut niveau. Il faut également investir de manière positive nos anciens champions ou championnes qui ont envie de transmettre, de se mettre au service du collectif, des équipes de France, comme Richard Gasquet en a émis le souhait par exemple. La FFT a besoin d’eux, à nous de les accompagner dans cette reconversion afin qu’ils puissent se former, exprimer au mieux leurs compétences. N’étant pas un spécialiste du tennis, je me suis sans doute affranchi de certaines considérations pour amener ma vision des sports collectifs. Et avec Ivan Ljubicic, responsable du haut niveau, nous constatons qu’il y a beaucoup de convergences. Cette force collective doit nous permettre d’être meilleurs individuellement. Un fort dynamisme est aussi amené par nos élus, notre président ayant pas mal d’énergie à revendre. (sourire)
Propos recueillis par B. Blanchet