Début novembre, le nouveau DTN a dévoilé son plan de relance du haut niveau féminin. En y incluant une dimension collective, sa marque de fabrique, il compte recréer une dynamique et un état d’esprit positifs. Adapté à la précocité comme aux spécificités du tennis féminin, son projet pensé depuis la base des pratiquantes s’appuie sur des encadrements renforcés et l’expertise d’anciennes championnes, dont Alizé Cornet, nouvelle capitaine de l’équipe de France de Billie Jean King Cup. Entretien.
De quels constats êtes-vous parti pour établir ce plan ?
La plupart sont connus (résultats internationaux insuffisants, filière du haut niveau copiée sur celle des garçons, entraîneurs pas toujours motivés pour entraîner des filles ou des femmes, taux de pratiquantes, de fidélisation et de compétitrices inférieurs à ceux des hommes, etc.). Mais au-delà de ces éléments factuels, on avait l’impression qu’on évoquait en permanence ce que les femmes avaient du mal à faire et pas ce qu’elles réalisaient de façon positive. Or l’arrivée de Loïs Boisson, avec sa demi-finale à Roland-Garros et son titre à Hambourg, pour terminer la saison à la 36e place mondiale, a favorisé un nouvel état d’esprit. Il faut redonner une sorte d’appétence pour le tennis féminin car notre développement passe par les femmes. Il faut donner envie aux ligues, comités, clubs et aux entraîneurs de s’investir pour faire progresser ces sportives de haut niveau. Le tennis féminin français possède une histoire riche de nombreuses championnes (Mauresmo, Bartoli, Pierce, Garcia, Cornet, Dechy, Dürr, Testud, Mladenovic, etc.), qui a parfois été mise de côté. La dernière personne de nationalité française à avoir gagné Roland-Garros en simple n’est pas Yannick Noah mais Mary Pierce, en 2000. Par ailleurs, on se met souvent des barrières en voyant nos meilleures joueuses ou espoirs comme des jeunes femmes fragiles. Il faut donc se donner les moyens de pouvoir se dépasser car le haut niveau exige d’avoir de l’ambition, de la persévérance et un état d’esprit conquérant en compétition mais aussi à l’entraînement.
Quel en est l’esprit, la philosophie ?
Déjà d’expliquer que ce parcours de compétition va constituer une voie de réalisation incroyable pour nos joueuses, qu’elles évoluent au plus haut niveau international ou soient de jeunes passionnées. Une fois leur carrière terminée, ces compétences, elles vont pouvoir les réinvestir ailleurs car elles disposeront d’un réseau important, d’autant que ce sont souvent des filles ou des femmes brillantes sur le plan scolaire, universitaire. Outre Loïs, Elsa Jacquemot est inspirante. Gagnante de Roland-Garros juniors en 2020, elle a mis du temps à s’affirmer avant d’intégrer le Top 100 (âgée de 22 ans, elle est 59e WTA, ndlr), où figurent aussi Varvara Gracheva et Léolia Jeanjean. Il ne faut pas non plus oublier Tiantsoa Sarah Rakotomanga Rajaonah (19 ans, 125e WTA), autre révélation de la saison, titrée à Sao Paulo, Diane Parry (126e WTA) ou encore Clara Burel. On doit les mettre en avant, les aider à s’épanouir, les accompagner en tenant compte d’une précocité propre au tennis féminin. Or jusque-là, l’erreur était de copier ce qu’on proposait pour les garçons. Nous devons aussi intégrer le fait que l’équilibre avec leur vie personnelle est très important. Le grand public doit par ailleurs comprendre leurs parcours, leurs challenges. Dans ce cadre global, l’arrivée d’Alizé Cornet en tant que capitaine emblématique de Billie Jean King Cup, qui incarne des valeurs de travail, de respect, d’exigence, ou la présence de Pauline Parmentier, constituent des atouts importants. Au sein des équipes de France, on sent une vraie solidarité entre les joueuses, une forme de sororité. À chacun d’y ajouter de l’ambition, de l’exigence, beaucoup de travail, de compétence, afin de renforcer cet esprit d’équipe et de créer une dynamique individuelle et collective.
Des objectifs précis ont-ils été fixés ?
Oui, on souhaite déjà remonter dans le Groupe Mondial en Billie Jean King Cup. Il s’agit d’une première étape. Également capitaliser sur nos toutes récentes finalistes U16 (Ksénia Efremova, Nehira Sanon, Cindy Langlais) en Billie Jean King Cup Juniors, en novembre au Chili face aux États-Unis. Et bien sûr accompagner nos meilleures joueuses et les faire progresser afin d’en avoir davantage dans le Top 100 puis dans le Top 10, car ça marque les esprits et permet d’avoir une locomotive. On veut aussi des clubs engagés autour du tennis féminin et davantage de femmes dans l’encadrement du haut niveau (entraîneurs, préparatrices physiques ou mentales, etc.), d’où cette nouvelle formation pour le haut niveau avec la WTA, pilotée par Nathalie Dechy. En bas de la pyramide, il faut plus de pratiquantes, qu’on peut par exemple recruter via le tennis scolaire, puis ensuite rendre notre sport plus ludique, tout en développant la culture du match dès le plus jeune âge (Galaxie Tennis, Tennis Cooleurs, Ecole du match). On sait enfin qu’il faut plus de femmes dans les épreuves du DE afin de les faire monter en compétences, car le niveau international ne cesse de grimper.
« Les bons ingrédients sont présents »
Pour cela, de quels moyens disposez-vous ?
On renforce l’encadrement de nos équipes. Nos 10-11 ans vont également partir en tournée aux USA car il faut une programmation internationale dès 10 ans, et créer les conditions optimales pour que les 9-13 ans passent le maximum de temps sur les courts à l’entraînement comme en compétition. Un groupe Elite a été mis en place, ce sont des joueurs et des joueuses Top 10 de leur catégorie en accompagnement renforcé pour poursuivre leur progression vers le plus haut niveau du tennis mondial. Nous avons également des ambassadrices inspirantes. Alizé Cornet dispose ainsi d’une mission élargie en tant que “role model”. On va aussi intégrer d’anciennes joueuses dans la cellule “expert” de la FFT dirigée par Ivan Ljubicic, dont Richard Gasquet fait déjà partie. Pour rappel, cette structure a pour vocation de transmettre le savoir et l’expérience des meilleurs joueuses et joueurs aux jeunes espoirs du tennis français afin de favoriser leur professionnalisation et leur adaptation aux exigences du plus haut niveau.
Vous semblez optimiste...
Si on ne l’est pas, on n’y arrivera jamais. Ivan Ljubicic est à fond, nos élus aussi. Et je suis très attaché à cet aspect collectif du tennis que l’on veut créer autour d’Alizé et de nos meilleures joueuses. Le développement du tennis féminin de haut niveau est devenu un projet collectif. Il ne faut rien lâcher et récolter les fruits de ce qui avait été initié par la FFT, notamment depuis quatre ans autour des jeunes dans la catégorie 10 ans. Grâce à ça, des jeunes prometteuses sont en train d’arriver. Les bons ingrédients sont présents.
Un regard international permet aussi de s’ouvrir…
Oui, Ivan Ljubicic amène cela. Loïs Boisson travaille désormais avec l’Espagnol Carlos Martinez, Ksénia Efremova a engagé le coach slovaque Vladimir Platenik... chacun amène sa vision, sa culture, son vécu. Ces entraîneurs étrangers font bouger les lignes, amènent une forme d’ouverture. Ce qu’on constate au plus haut niveau, c’est que l’accompagnement de la performance est primordial, avec de véritables staffs autour des top joueuses. On travaille beaucoup sur cet aspect, mais on voit aussi qu’il n’y a pas de recette miracle. Aucun pays ne parvient à avoir constamment beaucoup de joueuses au sommet. Les Américaines reviennent fort avec quatre membres du Top 10 après des périodes moins fastes. La concurrence est mondiale, certains pays peuvent rivaliser en plaçant une seule championne dans le Top 20. On constate aussi que quand on réussit, on se repose parfois sur ses lauriers et d’autres prennent la place. Mais notre tour viendra. On travaille pour ça.
Propos recueillis par B. Blanchet





