En poste depuis 1994 et directeur sportif du PUC, Yann Lemeur prône une pédagogie positive basée sur l'apprentissage par le jeu et où l'enseignant doit sans cesse être dans l’encouragement, mais s’inquiète du manque d’enseignants dans les années à venir, particulièrement chez les femmes. Échanges.
À quand remonte votre découverte du tennis ?
Enfant du PUC, je n’ai connu que ce club. Mon grand-père, Jean Lemeur, a notamment présidé la section athlétisme, tandis que mes parents, fraîchement montés de leur Bretagne natale, s’y sont rencontrés. Mon père était étudiant en kiné et a été un brillant entraîneur d’athlétisme en demi-fond. Ma mère, étudiante en EPS, de la même génération que Colette Besson, était en équipe de France d’athlé. De mon côté, j’ai touché à pas mal de sports : le football de 8 à 10 ans, puis le handball et l’athlétisme avant de me mettre tardivement au tennis, vers 13 ans. Mais ayant sans doute de solides bases sportives, je suis passé de non-classé à 4/6 en cinq ans, restant plus de 20 ans en deuxième série.
Comment êtes-vous devenu enseignant ?
Né en 1968, je me souviens parfaitement de la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros en 1983. J’avais 14 ans et demi, j’étais chez moi, les volets fermés car il faisait très chaud ce dimanche-là. Je me souviens encore du cri poussé par l’ensemble de la famille, quand Noah a suivi son service au filet, provoquant la faute en retour de Wilander. Le score de cette finale (6/2, 7/5, 7/6) reste figé dans ma mémoire. L’autre grand moment concerne la victoire en Coupe Davis 1991 à Lyon avec Yannick comme capitaine, face à Agassi, Sampras et le duo Flach-Seguso. Bref, ce qui se fait de mieux au monde. Alors que de l’autre côté, on a un bon Guy Forget et un Henri Leconte qui revient d’une hernie discale. Ces deux événements m'ont marqué et guidé ! Yannick Noah a donc été un facteur déclenchant concernant cette envie d’enseigner. Après le bac, j’ai fait des études d’allemand qui ne me passionnaient guère, j’avais obtenu mon DEUG, un bac +2. (sourire) Jeune enseignant, j’ai passé mon BE à 21 ans, devenant prof de tennis à 22 ans.
En 1994, vous prenez la direction sportive du PUC...
En effet. À cette date, le stade Charléty vient d’être reconstruit après cinq ans de travaux. Je postule à l'âge de 24 ans pour la direction sportive de la section tennis, au sein de laquelle il y a tout à refaire puisqu’il ne reste que 150 jeunes à l’école de tennis et nos deux équipes premières. Le président de l'époque voulait un enseignant issu du PUC. Cette nomination a constitué pour moi à la fois une grande joie et généré un peu d’inquiétude car il fallait tout rebâtir. Au fil des ans, nous avons retrouvé des membres, créé des cours adultes, recréé des équipes adultes ou jeunes, accru notre formation dans la compétition jeunes et fait remonter nos deux équipes 1 en championnats de France.
Dans cette tâche, j’ai eu la chance d’être accompagné par des enseignants fidèles au club (Lionel Crognier, David Nguyen et Franck Lesueur) et, un peu plus tard, certains de mes élèves sont devenus enseignants. Aujourd’hui, le PUC tennis compte 1450 licenciés sur huit courts à Charléty, dont quatre couverts, plus quatre terres battues extérieures dont deux sont couvertes en hiver. Nous sommes maintenant deux à nous partager la direction sportive avec Bruno Gil. Par ailleurs, depuis 20 ans, nous avons la possibilité de louer des terrains à la Cité Universitaire toute proche (huit courts au total), le mercredi, le samedi et les soirs de semaine pour les cours, ainsi que sur d’autres créneaux pour du jeu libre. En 1994, nous n'étions que six enseignants au moment de la réouverture... et je dirige maintenant une équipe de 21 profs. Cette équipe pédagogique est très investie, en plus d'être très compétente et possède un état d’esprit très particulier. Cet esprit “violet” est particulièrement confraternel, familial. On est fier de représenter le PUC, les valeurs de respect, de partage et de don de soi nous animent tout au long de l'année. L'équipe enseignante tente de transmettre au quotidien à l'ensemble des jeunes ces valeurs ô combien importantes en plus de sa passion du tennis. Ici, on essaye de faire les choses sérieusement sans se prendre trop au sérieux !
J'ai connu jusqu'à maintenant quatre présidents, tous aussi bienveillants les uns que les autres, qui ont toujours établi un climat de confiance avec l'ensemble de l'équipe pédagogique. Le binôme enseignant/président si cher à la FFT a toujours parfaitement fonctionné au PUC.
Quel message pédagogique souhaitez-vous faire passer ?
Quand on discute avec d’autres enseignants, on constate que nous avons ce point commun : nous avons tous rencontré un prof qui nous a transmis la passion du tennis. Donc un bon enseignant est avant tout un passionné, même si on peut bien sûr le devenir. Cela passe par une pédagogie la plus positive possible, en soulignant la réussite davantage que les échecs car le tennis reste un sport tellement compliqué, qui fait appel à tant de paramètres (technique, tactique, physique et mental) qu'il convient d'essayer de mettre ses élèves en confiance. La façon dont l’enseignant anime son groupe est primordiale en essayant le plus possible de placer les élèves en situation d’opposition. Il faut savoir challenger ses élèves en permanence et essayer de les faire évoluer dans des groupes les plus homogènes possible. Lors de ma formation au BE, j’ai eu la chance d’avoir Jean-Claude Marchon et Olivier Letort comme formateurs. Ils m’ont transmis leur passion et m'ont beaucoup aidé pour que je puisse à mon tour transmettre la mienne. Au fil des ans, j'ai appris à mieux communiquer avec les parents, afin de leur faire comprendre qu'il ne fallait pas brûler les étapes et qu'il fallait faire preuve de patience pour que la technique se forge le mieux possible en proposant les formats de jeu (violet, rouge, orange, vert) adaptés aux niveaux des enfants. Faire jouer un enfant d'un niveau format rouge trop rapidement en orange ou en vert peut avoir des effets aussi néfastes que de vouloir faire skier un jeune possédant sa première étoile sur une piste rouge ou noire... On va dégrader sa maîtrise technique, dégrader sa confiance et impacter négativement son plaisir du jeu.
Aujourd'hui, on dispose d'outils pédagogiques avec toutes les balles de l'univers Galaxie Tennis et il faut s'en servir le plus possible pour faire évoluer positivement nos jeunes joueurs.
Le métier connaît une crise de vocations, particulièrement chez les femmes. Qu’en pensez-vous ?
Cette crise m’inquiète beaucoup. Notre capacité de recrutement diminue chaque année, par manque de candidats, les offres d’emploi étant bien supérieures aux postulants. Et à Paris, la problématique est encore différente car il y a beaucoup de clubs et la possibilité existe de donner des cours (très) bien payés dans un certain nombre de clubs, choix qui prime parfois sur le projet sportif. Amoureux du tennis féminin, j’entraîne l’équipe première féminine depuis 30 ans, mais cela fait six ans que je n’ai plus d’enseignante alors que j’ai 21 enseignants. Or ça n’est pas faute de chercher puisque sur les annonces, je précise systématiquement : “Recherche femmes en priorité”. Sans faire de généralités, je pense qu’une femme est souvent plus adaptée à un public féminin. En tout cas, je pense qu’il faut une sensibilité féminine lorsqu’on s’adresse à des petites filles ou à des jeunes filles. À 8-9 ans, ces dernières ont souvent envie de bien faire pour elle et pour l’enseignant, quand les garçons du même âge veulent surtout compter les points, matcher. Mais j’ai aussi l’impression que si vous gagnez la confiance d’une fille, si vous comprenez ses motivations, vous pouvez l’emmener encore plus loin qu’un garçon.
Pour revenir au problème du recrutement, il y a globalement moins d’enseignants, hommes ou femmes qui veulent travailler le samedi et les soirs de semaine, qui sont en principe des moments intenses de travail pour un prof en dehors du mercredi. Au PUC, nous avons fait le choix de ne jamais programmer de cours le dimanche, car un enseignant doit avoir du temps libre en famille ou pour lui, même s’il nous arrive d’accompagner des jeunes sur des tournois ou d’encadrer des matchs par équipes. Je suis inquiet concernant le recrutement des années à venir... un nouveau DE reste de moins en moins longtemps en poste. En tout cas, la FFT diffuse plein de bonnes idées comme le DE HTT (formation hors du temps de travail), dispositif suivi par un homme de 40 ans chez nous et qui va en parallèle conserver son activité principale, ou encore la formation au DE dans la filière STAPS.
Formateur, vous avez eu la chance d’entraîner une pépite…
Oui, j'ai eu cette chance ! Jenny Lim, 20 ans et actuelle 520e WTA (elle a été championne de France en 13-14 ans puis en 17-18 ans et a également déjà remporté trois titres en W15 sur le circuit ITF, ndlr), est licenciée au PUC depuis qu'elle a six ans. J'ai pu l'entraîner avec Elsa Morel, du comité de Paris, et l'accompagner de nombreuses et heureuses semaines jusqu'à l'âge de 17 ans sur les différents circuits (Tennis Europe, ITF juniors, ITF seniors). Elle a déjà participé à quatre Roland : deux en juniors et les deux dernières années en seniors avec une wild card. On espère que son classement lui permettra d'accéder directement aux Qualifs, voire mieux, pour l'édition 2026… Cette véritable Puciste est restée fidèle à son club de cœur. Nous avons également actuellement au club Rose Thach (née en 2012, 2/6) et sa sœur Lyne Thach (2009, -2/6) qui sont très prometteuses, toutes les deux entraînées par Franck Lesueur et suivies par le comité de Paris. Elles font partie des meilleures joueuses françaises de leur année de naissance. Il s’agit pour toutes les trois de purs produits du PUC, qui habitent dans le XIIIe arrondissement de Paris. Elles sont toutes les trois d'origine asiatique, avec des parents incroyables de prévenance et de dévouement.
À l’occasion de Roland-Garros 2025, vous avez été invité par la FFT en compagnie de 300 enseignants et des membres du Conseil national des enseignants professionnels (CNEP)...
Oui, j’assiste à ce rendez-vous mis en place par la FFT depuis 15 ou 20 ans. Cette année, la Fédération souhaitait mettre le CNEP à l’honneur ainsi que ceux qui, à travers la France, participent à l’optimisation de l’école de tennis, tâche à laquelle je m’attèle à Paris en compagnie de Nicolas Pietrowski, directeur sportif du Stade Français, et de Stéphane Jarry, directeur sportif du Femina. Cela consiste à appliquer les principes de Walter Gouy et de Tennis Cooleurs, conçu par Olivier Letort : plus de volume de frappes, organisation de la séance avec des coachs juniors, et utilisation du mur, que nous avons la chance d'avoir autour de nos courts couverts au stade Charléty. Le tout accompagné d’une réflexion sur la façon dont on fait jouer les enfants et dont on fait grossir ce volume de frappes. Aujourd’hui à Paris, une vingtaine de clubs sont entrés dans ce projet. On leur propose des formations au cours de l’année, ce qui permet d’écouter leurs besoins, d'avoir leurs retours, mais aussi et surtout d'être dans le partage d'expériences. Concernant le déroulement de cette journée durant le tournoi, qui constitue une véritable reconnaissance de notre profession et de notre action par l’institution fédérale, je suis resté sur un court annexe à voir le Géorgien Nikoloz Basilashvili face au Portugais Henrique Rocha, issu des Qualifs. Un match formidable (7/6, 2/6, 7/6, 2/6, 6/2 pour le Portugais) qui m’a tenu en haleine alors que j’avais la possibilité d’aller sur le court Suzanne-Lenglen.
Propos recueillis par B. Blanchet