Dans ce nouvel "opus" de Conseils aux compétiteurs, nous revenons sur la légendaire finale de Roland-Garros entre Carlos Alcaraz et Jannik Sinner en observant les points sur lesquels on peut tous s'inspirer des deux meilleurs joueurs du monde.
"Monstrueux". "Surhumains". "D'un autre monde"… Tels sont, parmi d'autres, les superlatifs que l'on a pu lire ou entendre pour qualifier la d'ores et déjà légendaire finale de Roland-Garros entre Carlos Alcaraz et Jannik Sinner, remporté par le premier nommé après un combat dantesque de 5h29, le 8 juin dernier. Beaucoup d'observateurs s'accordent à dire que l'Espagnol et l'Italien, ce jour-là, ont emmené leur sport dans une autre dimension, en termes de vitesse de jeu notamment.
Mais s'ils ont placé le curseur à des hauteurs insoupçonnées, n'oublions pas que les deux meilleurs joueurs du monde sont, à la base, de simples "mortels". Et des joueurs de tennis comme les autres, qui respectent des axiomes fondamentaux reproductibles par tous, à tous les niveaux. Laurent Raymond, entraîneur de l'équipe de France de Coupe Davis, nous a aidés à dresser les principaux enseignements à tirer de leur chef-d'œuvre commun réussi à Roland-Garros. Les voici, en cinq points.
© Nicolas Gouhier / FFT
1) Pas besoin d'être une montagne de muscles pour frapper fort
Si Jannik Sinner et Carlos Alcaraz ont des jeux et même des gabarits différents, ils ont toutefois en commun de ne pas être des armoires à glace. L'Italien est très fin, l'Espagnol n'est pas immense. Bien que naturellement plus musculeux, il semble s'être "allégé", selon les observations de Laurent Raymond.
Quoi qu'il en soit, "leur exemple montre une fois de plus qu'il n'y pas besoin d'être une montagne de muscles pour faire avancer la balle extrêmement vite, rappelle l'entraîneur fédéral. C'est un peu l'héritage Djokovic. Le plus important est d'optimiser la transmission d'énergie. Et cela part essentiellement des appuis. Il faut d'abord chercher à être très bien placé, avant et pendant la frappe. S'ils ont un tel rendement, c'est parce qu'ils ont une technique parfaite, mais c'est d'abord parce qu'ils ont un équilibre parfait."
Cette tendance se retranscrit dans la préparation physique des joueurs professionnels depuis quelques années. "Aujourd'hui, on ne travaille plus en charge lourde, complète Laurent Raymond. Dans les séances, ont fait beaucoup de travail en BFR (Blow Food Restriction), par exemple. L'objectif n'est plus tellement la force brute, c'est l'endurance dans l'explosivité."
© lClément Mahoudeau / FFT
Jannik Sinner possède un coup droit ultra puissant malgré des biceps "mesurés".
2) Une technique épurée et simplifiée au maximum
L'évolution du tennis constatée depuis longtemps, c'est l'accélération du jeu. Or, plus le jeu va vite, moins il y a de temps pour s'organiser, et plus la gestuelle doit être simplifiée au maximum. Là encore, la tendance n'est pas nouvelle mais elle est peut-être poussée à son paroxysme par Alcaraz et Sinner.
"Pour ne pas se faire prendre de vitesse, ils ont une orientation d'épaules plus précoce et moins ample, avec des préparations très écourtées, fait ainsi remarquer celui qui, au fil de sa longue carrière de coach, a entraîné des profils de joueurs très variés, de Jérôme Golmard à Corentin Moutet en passant par Fabrice Santoro ou plus récemment Arthur Fils. On est sur une technique extrêmement simple et directe. Tout est optimisé, y compris dans la gestion des déplacements."
Qu'il semble loin l'enseignement ancestral des coups de fond de court, basé sur une préparation loin derrière et un accompagnement loin devant. L'énergie supérieure imprimée aujourd'hui à la balle, de part et d'autre du filet, a favorisé cette évolution naturelle que l'on retrouve aussi à des niveaux largement inférieurs.
"Chez les amateurs, cela joue aussi plus vite qu'avant même si, en contrepartie, il y a sans doute plus de fautes, constate encore Laurent Raymond. Il faut savoir s'adapter en épurant sa gestuelle." Notez-le : cela pourrait être une évolution importante et très utile à votre jeu.
© Nicolas Gouhier / FFT
La préparation en revers de Carlos Alcaraz : simple, efficace.
3) Le premier adversaire, c'est le filet
Ce n'est pas forcément la première chose qui saute aux yeux en voyant Alcaraz et Sinner enchaîner les échanges à une vitesse folle. Et c'est pourtant un des enseignements les plus instructifs. On a beaucoup parlé des trois doubles fautes seulement commises par Jannik Sinner sur l'ensemble de son Roland-Garros, mais une autre statistique impressionnante a circulé après l'un de ses premiers tours à Paris : durant ce match, l'Italien n'a commis que deux fautes de filet !
"Que ce soit Sinner ou Alcaraz, on constate la même chose : leur premier adversaire, ce n'est pas le joueur en face, c'est le filet, fait observer Laurent Raymond. Ils arrivent à produire un jeu très rapide mais en ayant toujours le souci de garder une marge par rapport à ce premier obstacle. Et ça, c'est vraiment quelque chose à reproduire à tous les niveaux. Plus on se concentre là-dessus, plus on va progresser. Parce que par définition, si la balle ne passe pas le filet, il n'y a aucune chance qu'elle soit dedans..."
Dans un récent "Conseils aux compétiteurs" consacré à la longueur de balle, nous avions évoqué cette marge à prendre vis-à-vis du filet. Une autre étude statistique menée sur le circuit ATP en 2023 avait révélé qu'elle était d'environ 0,70 cm. Sur terre battue, elle est plus importante encore. Cela aussi, gardez-le en tête : une balle rasante est rarement la meilleure option…
© Nicolas Gouhier / FFT
4) Changer sa position en retour peut être un vrai plus
Ce fut, on l'a vu, l'une des innovations techniques notables chez Jannik Sinner sur ce Roland-Garros : une position en retour de service modifiée, avec des épaules légèrement orientées côté coup droit, là encore dans un souci de gain de temps.
"Le retour de coup droit demande un peu plus d'organisation par rapport au retour de revers – pour ceux qui ont un revers à deux mains - où l'amplitude de préparation est quasiment nulle, explique le technicien auvergnat. L'intérêt de cette position de retour est donc d'équilibrer le temps de réaction entre le coup droit et le revers. Cela peut avoir un réel intérêt pour ceux qui sont emmenés à faire un changement de prise, comme João Fonseca que j'avais beaucoup étudié cette année avant notre rencontre de Coupe Davis contre le Brésil : j'avais remarqué qu'étant en prise revers en retour, il avait quelques soucis si on lui servait très fort sur le coup droit."
Avec sa nouvelle position, Sinner, lui, est déjà prêt si on lui sert le coup droit. Si on lui sert le revers, il n'a plus qu'à réorienter les épaules. A voir s'il installera dans le temps cette nouvelle position dont il est à noter qu'il ne l'utilise que sur première balle adverse. Là où Alcaraz, lui, choisit une position plus classique mais aussi plus éloignée de la ligne, comme on le voit de plus en plus souvent chez les pros.
"Ces différents choix de position sont à prendre à considération aussi chez les amateurs, où certains sont capables de servir très fort, conclut Laurent Raymond. Le retour de service sur première balle reste l'un des coups les plus difficiles et il est intéressant de se donner d'autres possibilités pour des joueurs qui se sentent pris par le temps."
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La nouvelle position en retour de service de Jannik Sinner avec des épaules légèrement orientées côté coup droit, lui fait gagner du temps.
5) Un bon état d'esprit est le reflet d'une parfaite clarté intérieure
Au-delà du niveau de jeu lunaire, c'est l'une des choses qui est le plus souvent ressortie de cette finale grandiose : un état d'esprit irréprochable de la part des deux hommes qui ont fait preuve d'une combativité sans faille et d'un fair-play magnifique pendant le match, mais aussi de beaucoup d'humilité et de dignité après le match.
"Leur résilience est vraiment admirable, résume cet ancien redoutable gaucher, autrefois classé négatif. Ce sont des garçons qui ont manifestement fait un gros travail sur eux-mêmes car ils font preuve d'une maturité bien supérieure à leur âge. Ce qui est exceptionnel chez eux, c'est qu'il n'y a pas de temps faible, en tout cas pas de moments de panique. Ce qui veut dire qu'ils ont probablement une excellente gestion de l'occupation de leur temps entre les points."
Un travail de l'ombre que nous avions aussi déjà abordé dans un "opus" précédent, via l'élaboration de rituels ou d'une manière de penser permettant d'optimiser ses performances. Cela ne se voit pas de prime abord, d'accord. Mais c'est aussi une source d'inspiration fondamentale que nous enseignent Jannik Sinner et Carlos Alcaraz.