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Trois bonnes raisons d’opter pour le revers à une main pour une femme

Dans ce nouvel épisode de "Conseils aux compétiteurs", Margaux Rouvroy, n°16 française, et Loïc Courteau, ancien entraîneur d’Amélie Mauresmo et de Diane Parry notamment, évoquent les énormes avantages du revers à une main dans le tennis féminin.
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Eternel (et peut-être amer pour les fans) constat : le revers à une main est en voie de raréfaction, sinon de disparition dans le tennis moderne. Un serpent de mer encore plus réel chez les filles, puisque l’on n’en recense plus que trois dans le top 100 (et aucune dans le top 40) : l’Allemande Tatjana Maria, la Française Diane Parry (cocorico) et la Suissesse Viktorija Golubic.

Les raisons sont connues : "L’apprentissage du revers à une main est plus difficile techniquement, d’autant qu’à l’âge où elles débutent le tennis, les petites filles manquent de force, résume Loïc Courteau. Comme elles ont du mal à maintenir la raquette avec une seule main, elles vont d’abord s’orienter plus naturellement vers un revers à deux mains. Ensuite, elles le gardent."

Sauf à faire l’effort d’en changer, comme l’a fait Margaux Rouvroy à une dizaine d’années. "Aujourd’hui, je suis super contente d’avoir un revers à une main mais je ne vais pas mentir, le processus a été long pour le maîtriser, pratiquement une dizaine d’années, témoigne celle qui a récemment participé à la campagne victorieuse du TC Tremblaysien aux Championnats de France interclubs de Pro A. La plupart du temps, les filles préfèrent se dire : pourquoi "galérer" pendant des années à une main alors que ce sera plus rapidement plus simple à deux mains ? Pourtant, à long terme, ça peut être très payant."
 
Pour Loïc Courteau, ce sont aussi les exigences du tennis moderne qui ont changé le paradigme. "Avant, il n’y avait que des revers à une main mais on ne voyait aussi que du slice. Or, c’est surtout pour le lift que le revers à une main se complique parce qu’il nécessite davantage d’action du poignet et de l’épaule. Par ailleurs, le jeu est devenu tellement rapide qu’à une main, on est souvent pris de vitesse et dans ce cas, on ne peut que remettre la balle. Alors qu’à deux mains, même en retard, on peut encore réaccélérer grâce à l’action de la main directrice."

Il y a toutefois beaucoup d’autres (excellentes) raisons de relever le challenge et d’opter pour un revers à une main. En voici au moins trois.

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1) Parce que vous en avez envie

C’est la première raison, sans doute la meilleure. Il faut le rappeler, surtout pour toutes celles qui ont voulu un jour passer à une main sans jamais oser, peut-être découragées par le modèle actuel voire par les désapprobations de l’entourage : au tennis comme ailleurs, il faut suivre son instinct.

"Si j’entraînais une jeune fille qui souhaite apprendre le revers à une main, je n’irai jamais contre sa volonté, édicte ainsi Loïc Courteau, qui jouait pour sa part… tout à deux mains. Je pense que c’est un coup qui mérite d’être remis au goût du jour dans l’enseignement, ne serait-ce que parce qu’il permettrait de rendre le jeu moins stéréotypé. On peut aussi trouver des indices dans la personnalité de l’enfant : souvent, ceux qui développent un revers à une main ont un côté un peu artiste et joueur."

Sans doute aussi un côté têtu, comme l’était Margaux Rouvroy lorsqu’elle a fait le grand saut malgré des débuts prometteurs à deux mains. "Je voulais passer à une main simplement parce que je trouvais ça plus joli. En plus, c’est un coup qui permet de se démarquer, les gens se retournent plus sur une joueuse qui a un revers à une main avec un jeu atypique plutôt que sur une fille qui joue comme toutes les autres. Et puis, petite, j’aimais beaucoup Justine Henin et Amélie Mauresmo."

Idem d’ailleurs pour Diane Parry, qui était pour sa part une grande fan de Roger Federer. Aujourd’hui, le manque de références à une main au plus haut niveau contribue sans doute à entretenir le cercle vicieux de sa raréfaction, au même titre que la difficulté à dompter ce coup qui demande énormément de patience.

"Cela ne fait que deux ans que j’ai le sentiment de vraiment maîtriser mon revers à une main, raconte Margaux, âgée de 22 ans. Là où j’ai eu le plus de mal, c’est au moment du passage aux balles dures, jusqu’à 17-18 ans. A ces âges-là, le jeu devient plus physique et les filles arrondissent beaucoup, or la principale difficulté du revers à une main se situe dans les frappes au-dessus de l’épaule. Et puis, petit à petit, je me suis développée physiquement et j’ai appris à faire les efforts de placement nécessaires pour frapper la balle à la bonne hauteur et dans le bon timing, ce qui est sans doute le plus important."

FFT / Christophe Guibbaud
Loïc Courteau, au chevet de Diane Parry.
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2) Parce que c’est un coup plus complet

Toutes les statistiques tendent aujourd’hui à démontrer que le revers à deux mains est un coup plus efficace que le revers à une main. Mais la quasi-disparition du "one handed" dans le tennis féminin contribue à creuser, sinon à biaiser les statistiques. Pourtant, l’époque où Amélie Mauresmo et Justine Henin, peut-être les deux plus grands revers à une main de l’histoire du tennis féminin, luttaient pour la place de n°1 mondiale ne remonte tout de même pas à l’âge de glace.

"Le revers à une main est certes plus long et plus difficile à apprendre que le revers à deux mains mais une fois qu’on le maîtrise, c’est aussi une arme plus importante, estime Loïc Courteau, dont la collaboration avec Diane Parry a cessé fin 2023. Il permet d’avoir une palette de jeu plus riche. On peut tout faire avec : lifter, slicer, amortir, monter au filet, etc. Le revers à deux mains, lui, permet de bien frapper la balle mais c’est à peu près tout. D’ailleurs, pour faire un slice ou une amortie, quasiment tous lâchent leur deuxième main."

"Pour moi, le revers à une main est un meilleur coup, et c’est peut-être encore plus vrai chez les filles qui ont en général un jeu moins varié, abonde Margaux Rouvroy. Le tennis créatif que j’ai développé est lié au fait que je joue à une main. C’est un coup qui me permet de faire plus de choses, c’est une certitude. J’arrive à trouver des zones que je n’arrive pas forcément à trouver en coup droit. Et comme j’arrive aussi désormais à le prendre plus tôt, je pense que c’est devenu mon meilleur coup."

En contrepartie, le revers à une main a bien sûr aussi ses faiblesses, liées principalement au jeu au-dessus de l’épaule et à la nécessité d’être parfaitement placé pour prendre la balle bien devant soi, ce qui n’est pas une sinécure alors que le jeu va de plus en plus vite.

Le revers à une main ne pardonne aucune erreur de timing, contrairement à son homologue à deux mains qui permet beaucoup plus de compenser. Mais il a aussi d’énormes avantages, et peut-être potentiellement plus encore dans le tennis féminin, où les changements de rythmes et de trajectoires sont souvent payants.

FFT / Clément Mahoudeau
Margaux Rouvroy peut user de son revers à une main dans toutes les situations de jeu, y compris dans des schémas offensifs.
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3) Parce que… ça marche (encore) !

Encore une fois, il faut se méfier des statistiques. Bien sûr, aucune joueuse dotée d’un revers à une main n’a gagné un Grand Chelem depuis Francesca Schiavone à Roland-Garros en 2010, il y a 13 ans et demi. Mais vu que son utilisation s’est aussi réduite à peau de chagrin entre-temps, peut-on vraiment en tirer l’implacable conclusion que le revers à une main est plus en échec que celui à deux mains ? Pas sûr…

Car d’un autre côté, on entend peu de joueuses se plaindre d’avoir choisi un revers à une main. Demandez par exemple à Tatjana Maria, l’actuelle n°1 mondiale du genre. L’Allemande avait 26 ans (et un enfant) lorsqu’elle est revenue sur le circuit en 2014 après avoir troqué son revers à deux mains pour un revers à une main, sous l’impulsion de son entraîneur et mari français Charles-Edouard Maria. Elle a ensuite changé de jeu et de dimension, remportant trois titres et atteignant les demi-finales de Wimbledon en 2022.

"Tatjana montre bien à quel point que le revers à une main, une fois que l’on parvient à le maîtriser, est une arme redoutable, analyse Loïc Courteau. On voit qu’il lui permet de bien mixer le jeu, de garder la balle basse ou au contraire de lifter, de monter plus facilement au filet, etc." Difficile de savoir combien de joueuses ont échoué aux portes de l’élite à cause de leur revers à une main, mais il en existe au moins une qui a su les forcer grâce à un tel revers !

"C’est vrai que souvent, les joueuses dotées d’un revers à une main sont devenues fortes, abonde Margaux Rouvroy, qui a gagné plus de 300 places au classement WTA en 2023 pour se retrouver désormais 235e mondiale. Pour moi, c’est une arme de fou et je ne regrette absolument pas mon choix. Maintenant, aurais-je été plus forte avec un revers à deux mains ? On ne le saura jamais…"

Il faut laisser au tennis le charme de ses mystères, et cultiver celui de sa diversité. C’est aussi pour cela que la sauvegarde du revers à une main est indispensable.

(Rémi Bourrières)

FFT / Corinne Dubreuil
Actuelle 70e mondiale, Diane Parry symbolise le présent du revers à une main qui performe sur le circuit féminin.
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